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Alors que nos champions motocyclistes se comportent plus qu’honorablement dans les divers Championnats du monde, un danger aussi insidieux que bien réel plane sur l’existence même du sport motocycliste en France.

Cette menace, si elle reste majoritairement inconnue du grand public, est actuellement le souci numéro un de la Fédération Française de Motocyclisme qui se bat bec et ongles, à savoir juridiquement et financièrement, pour que survive le sport motocycliste en France.
Si elle ne remporte pas son combat, les compétitions pourraient s’arrêter.

En début d’année, Monsieur Jacques Bolle, son président et ancien vainqueur de Grand Prix, à bien voulu prendre sur son temps pour nous éclairer la situation.

L’article est long et parfois difficile, mais le risque encouru par tous ceux qui souhaitent encore que le sport motocycliste dans sa globalité perdure, justifie que l’on fasse l’effort d’en prendre connaissance.
Pour cette raison, nous le publions en deux parties.


Première partie.

Rappel des faits; depuis une décision de la cour de cassation de novembre 2010, les assureurs français qui couvrent les organisateurs de compétitions  entendent doubler les primes chaque année pour parvenir à terme à une augmentation pouvant atteindre, voire dépasser, les mille pour cent.
Dans un premier temps, la FFM a réagi en trouvant provisoirement un assureur britannique proposant des tarifs plus modérés.

Monsieur Jacques Bolle, président de la FFM, a bien voulu nous éclairer sur les différents aspects de ce sujet qui, malgré sa complexité et ses termes juridiques, mérite toute notre attention.

Monsieur le président, pouvez-vous nous dire quels sont vos objectifs pour l’année à venir face à l’actuel problème majeur du sport motocycliste en France?

Jacques Bolle: « Les objectifs de la Fédération  Française de Motocyclisme sont de résoudre nos problèmes d’assurance Responsabilité Civile, puisque l’on a toujours cette épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. On a eu une petite éclaircie en 2014 puisque l’on a réussi à trouver un assureur anglais qui nous a garanti des tarifs raisonnables pour 2014 et 2015 et que, du coup, la concurrence arrivant, les assureurs français ont modéré leurs augmentations tarifaires. Ceci-dit, les anglais resteront-ils sur le long terme? On n’en sait rien puisque tout va dépendre de la sinistralité et là, il est certain qu’au début « tout est beau » mais, par la suite, des sinistres peuvent se déclarer un an après l’accident, etc. Cela se voit très souvent ; un accident survient une année 1 et le contentieux n’est déclaré que l’année suivante, voire deux ou trois ans après.

C’est pour cela que l’on est prudent. Mais les Anglais sont arrivés au mois de mai 2014 et sont pour l’instant satisfaits de leur présence dans le domaine de la Responsabilité Civile des organisateurs en France.

J’espère donc pouvoir poursuivre cette collaboration et pouvoir toujours être en mesure de proposer à nos clubs organisateurs des tarifs raisonnables et, d’autre part, arriver à trouver une solution pérenne avec le gouvernement avec qui on travaille toujours quasiment quotidiennement sur ce dossier, mais sans aboutir pour l’instant.

On a également une autre piste, la piste judiciaire, puisque les affaires en question vont revenir devant la cour de cassation. On espère qu’on aura peut-être une décision moins drastique que celle qui est intervenue en 2010, qu’il y aura peut-être un mouvement de balancier qui reviendrait vers une position un peu plus médiane.  Je tiens à le rappeler encore une fois, d’autant que bien souvent les gens ne s’en rendent pas compte, cette problématique est réellement déterminante pour l’avenir de notre sport en France.

Lorsque nos assureurs nous ont annoncé qu’ils allaient doubler la charge d’assurance chaque année pendant trois ans, voire quatre ans, soit multiplier par plus de mille pour cent leurs tarifs, cela faisait une charge absolument insupportable pour les clubs. C’est une évidence, d’autant que les assureurs ne pouvaient pas garantir l’arrêt de ce doublement annuel après les quatre premières années.
Avec cet assureur anglais, nous avons réussi à stopper cette hémorragie mais j’espère qu’ils resteront très longtemps, ce qui n’arrivera pas si les résultats ne sont pas bons. Et à ce moment là, le groupement de réassureurs français qui, je le rappelle, fédère tous les assureurs français, recommencera ses augmentations en se justifiant encore davantage par l’échec des anglais. »

Pourriez-vous, pour le grand public, rappeler l’origine de cette tendance intenable?

Jacques Bolle: « Il y a deux choses. D’une part, une tendance lourde qui est la « judiciarisation » de la société. C’est-à-dire que, maintenant, de plus en plus, les gens engagent des procédures dès qu’ils ont un problème ou un sinistre. D’autre part, il y a eu une évolution notable de la cour de cassation qui est intervenue en 2010, qui est ce qu’on appelle un revirement de jurisprudence ; la cour de cassation a remis en question que ce qu’on appelle en droit « la théorie de l’acceptation du risque », théorie qui considérait que quelqu’un qui se mettait volontairement en situation de péril, en pratiquant par exemple un sport à risques, ne pouvait pas ensuite demander une indemnisation pour les sinistres ou les blessures qu’il aurait subis pendant cette pratique à risque, si l’organisateur n’avait pas commis de faute. C’était le fait d’assumer les risques que l’on prenait, sans que cela puisse donner lieu à une indemnisation si l’organisateur n’avait pas commis de faute.

En 2010, il y a eu un revirement de jurisprudence et les magistrats considèrent maintenant que, même si en toute connaissance de cause vous vous êtes mis en situation de péril, et même si l’organisateur n’a pas commis de faute, on peut quand même, dans certains cas, vous donner une indemnisation. Et les cas où on donne l’indemnisation sont en train de croître de plus en plus.

Donc, par le passé,  une assurance RC organisateur était destinée à garantir exceptionnellement un sinistre, car le club avait fait une erreur ou une faute. Cela arrivait de temps en temps. Je me souviens d’un exemple qui remonte à bientôt trente ans, sur un circuit français; il n’y avait qu’un seul commissaire au poste où il y a eu un accident. Le commissaire avait été fauché et blessé dans le premier accident. Une autre sortie de piste a eu lieu au même endroit et la moto a commencé à brûler et son pilote a été gravement blessé. Là, on a considéré que si le poste de commissaires avait été normalement armé, c’est-à-dire avec trois personnes, les conséquences de l’accident auraient été vraisemblablement bien moindres, et c’est un cas où l’assureur de l’organisateur devait intervenir.
Mais des cas comme ça, c’était relativement rare ; il y en avait un tous les 4 ou 5 ans.

Aujourd’hui, les assureurs sont obligés d’intervenir plusieurs fois par an, et pour des sinistres dont le coût, là aussi, est en nette et constante augmentation.

Pour visualiser le phénomène, on peut grosso-modo dire que ce qu’on indemnisait en francs dans les années 80 est aujourd’hui indemnisé avec le même chiffre, mais en euros. Même en considérant l’inflation, on indemnise aujourd’hui 4 à 5 fois plus la même blessure ou le même préjudice qu’en 1985, par exemple.

Donc les coûts d’assurance augmentent, et surtout, le nombre de sinistres à prendre en charge augmente considérablement, puisque les magistrats considèrent aujourd’hui que le simple fait de proposer une activité à risque, moto ou n’importe quelle autre activité légale pratiquée en toute connaissance de cause, oblige de plus à plus l’organisateur à indemniser les sinistres survenus lors de cette pratique à risque.

Aujourd’hui, on considère donc que ce n’est plus à la solidarité nationale de prendre en charge un jeune de 20 ans qui est paraplégique, mais à l’organisateur qui a proposé une activité à risque, et donc à son assureur.

Voilà la situation dans laquelle on est aujourd’hui, ce qui explique que les assureurs ont pensé que les coûts allaient exploser et ont considéré qu’il faudrait multiplier quasiment par mille pour cent les primes d’assurance.

C’est absolument insupportable pour les clubs. Pour un organisateur qui payait très peu, disons un trial, dont le coût de l’assurance tournait autour des 300 euros, cela le fait passer à 3000 euros. C’est beaucoup mais avec quelques subventions, dont celle de la fédération, cela peut encore s’envisager. Mais, pour prendre un autre exemple, pour l’Enduro du Touquet, qui aujourd’hui paye 50 000 euros d’assurance, cela le ferait passer à 500 000 euros, et là, c’est totalement impossible, même avec une subvention de la Fédération. »

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