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En près de 75 ans de Grands Prix, nombreuses furent les tentatives de se démarquer. La France n’est pas en reste quant aux expérimentations les plus insolites, et une flopée d’ingénieurs de l’hexagone a essayé, avec succès ou pas, de modifier la conception d’une moto. C’est le cas d’André de Cortanze et d’Elf. Une épopée unique qui sent bon les années 1980.

De Cortanze n’est pas en manque de travail à la fin des années 1970. Diplômé de l’INSA, puis engagé par Renault pour développer les F2 et F3, il est assurément l’un des cerveaux les plus prometteurs de sa génération. Il passe chef de projet à la Régie en 1977, et se penche sur la Formule 1 turbocompressée nouvellement conçue, en partie développée grâce à l’expertise de feu Jean-Pierre Jabouille, qui vient de nous quitter.

En parallèle, Elf, grand pétrolier français, est très présent dans le monde des sports mécaniques, et figure en bonne place sur la carrosserie de la Renault RS-01. Elf ne néglige aucunement le monde de la moto, ce qui pousse à la naissance d’une idée commune : Pourquoi ne pas essayer de produire une machine innovante, et surtout, compétitive ?

De Cortanze, passionné de deux-roues, est sur le coup, accompagné par le dessinateur Daniel Trema. Il ne peut que constater le manque d’innovation dans le monde motocycliste, comparé aux Formule 1 qui avaient bien changées depuis les années 1950. La fourche et les cadres tubulaires étaient des principes d’un autre temps, qui, selon lui, étaient largement dépassés. En février 1978, un OVNI fait son apparition : la Elf X.

 

La Elf 3 de Ron Haslam en 1986. Photo : Rikita


Première chose étrange : il n’y plus de cadre, et c’est le moteur lui même qui assure la rigidité, un 750cc Yamaha à refroidissement liquide. Exit la fourche, supplée par un double triangle superposé et un système de levier et biellettes pour la direction. Le centre de gravité est au plus bas, car le réservoir est sous le moteur ! C’est Michel Rougerie qui se charge de la mettre au point, mais les premiers essais ne sont pas si concluants.

En 1980, Honda se montre intéressé par l’ambitieux projet, et rejoint l’aventure en motorisant la Elf. Apparaît la Elf e 1000cc quatre temps pensée pour l’endurance. Même si la machine ressemble plus à ce que nous avons l’habitude de voir sur les circuits, les innovations qu’elle embarque sont impressionnantes quand on y regarde de plus près. Jantes à quatre bâtons, freins à disque en fibre de carbone, pignon arrière placé du côté opposé au bras oscillant (d’ailleurs en magnésium coulé), colonne de direction automobile… A tous les niveaux, elle ne laisse personne insensible. Malheureusement, de trop nombreux problèmes mécaniques plombent le projet. Dotée d’un carénage spécial, elle devient la Elf R quelques temps plus tard, et s’affranchit de nombreux records du monde sur la piste de Nardo.

L’endurance limitait désormais la cylindrée à 500cc, alors autant s’engager en Grands Prix. En 1984, De Cortanze présente la Elf 2, munie d’un trois cylindres en V Honda, pour une puissance de 120 chevaux. Mais le système d’amortissement Marzocchi rend la première version inconduisible, bientôt remplacée par la Elf 2A. Là encore, la direction ainsi que l’intégration d’un système de suspension complexe la rend difficile à utiliser. Les Elf 2B et Elf 2C, notamment mises au point par Christian Le Liard, ne donnent pas plus de satisfaction mais proposent toujours plus de solutions nouvelles.

L’année 1986 marque un tournant dans l’épopée. De Cortanze s’en va chez Peugeot – Talbot Sport pour travailler sur la 205 T16 de rallye. Serge Rosset, autre ingénieur français de grand talent, prend plus d’importance au sein de l’équipe avec laquelle il travaillait depuis plusieurs années. Il présente la Elf 3, qui se différencie nettement des prototype précédents. Avec son réservoir placé en position haute, elle ressemble davantage à toutes les autres motos de Grands Prix. Côté pilotes, le Britannique Ron Haslam est sur le coup (il l’impose au Grand Prix de Macao) et n’est pas ridicule à son guidon en mondial, avec une 9e place au général en 1986. Honda respecte beaucoup le groupe de français. Ainsi, Trema devient le premier étranger à travailler au sein des bureaux d’étude de la firme.

 

La Elf 5 dénudée. Photo : Akinori Yamada.

 

En 1987, Haslam chevauche la Elf 4, mais trop tard pour en tirer des conclusions intéressantes. Le moteur V4 NSR500 débarque tardivement, et de nouveau, le modèle rencontre des problèmes. Un temps, on pense à créer un tout nouveau carénage en carbone, mais l’idée est abandonnée. L’introduction de la Elf 5 en 1988, dernière du nom, ne change pas grand-chose. Certes, Honda fournit des étriers Nissin pour palier à ces problèmes récurrents rencontrés sur les phases de freinage, mais rien n’y fait. Haslam n’est pas ridicule malgré des soucis de santé, mais difficile de parler de succès avec la 11e place du championnat. Au total, ce ne sont pas moins de 18 brevets qui ont été déposés. Beaucoup furent cédés à Honda, qui s’en servit pour des modèles routiers.

Enfin, ce n’est pas tout à fait terminé ! Serge Rosset, bien décidé, se penche de nouveau sur la question au milieu des années 1990. La Elf 500 est en préparation dans les ateliers du ROC à Annemasse. Fait rare, la moto est entièrement européenne, à l’exception des pistons et des freins. Le moteur est de conception Swissauto, pensé par la légende des side-cars Rolf Biland. Il s’agit d’un V4 de 500cc a très grand angle (108°) qui offre beaucoup de puissance. Sponsorisée par Pepsi, il lui est difficile de rivaliser avec ses concurrentes en Grand Prix en raison de la mise au point tortueuse.

C’est mieux en 1997, avec Jurgen Fuchs au guidon. L’Allemand est même 6e au Brésil, un résultat convainquant. Quand Elf abandonne le projet, Kenny Roberts montre de l’intérêt pour le reprendre, et le nom se mue en MuZ. Pour la saison 1998, le proto reste inchangé et n’est pas plus performant même sous ses nouvelles couleurs. L’année suivante, on fait table rase. Le ROC est abandonné, car le châssis frustrait les pilotes, à commencer par Eskil Suter en charge des essais. Puis, Biland prend possession de la formation, désormais « Team Biland GP1 ». La Muz – Weber cuvée 1999 est très performante : le « hollandais volant » Jurgen van den Goorbergh prend même deux pole positions à son guidon !

À la fin de l’année, le manque de moyens pousse la formation a stopper l’activité. Mais ce n’est toujours pas fini ! Dave Stewart, ancien team manager de BSL Racing, achète la MuZ 500 à moteur Swissauto. La Pulse 500 (son nouveau nom) est engagée lors de la saison 2001, aux mains de Jason Vincent et Mark Willis. L’absence de résultats, couplée au manque de fonds poussa l’équipe à se retirer au beau milieu de la saison. C’en était fini de la Elf, ainsi que de ses descendantes.

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Jürgen Fuchs lors du Grand Prix d’Allemagne 1997, sur la ROC/ELF 500. Photo : Dieter Gerhards

Photo de couverture : PSParrot

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