Il aura fallu deux semaines de spéculations, de rumeurs de clause échappatoire et d’offres faramineuses supposément venues de Honda HRC pour que Aprilia prenne enfin la parole, et le constructeur de Noale l’a fait de manière lapidaire et percutante. Dix lignes sèches, sans ambiguïté, pour refermer le dossier Jorge Martin — ou du moins le verrouiller juridiquement.
« Le contrat entre Aprilia Racing et Jorge Martín est valide et effectif. Il doit donc être respecté jusqu’à son expiration (fin 2026) par les deux parties », martèle le communiqué.
Dans ce texte froidement technique, Aprilia ne se contente pas d’affirmer son droit : elle envoie un message clair au paddock, aux managers, aux constructeurs rivaux, mais aussi à son propre pilote. Une manière de reprendre le contrôle du récit, à la veille du Grand Prix de Grande-Bretagne, pour éviter que chaque micro tendu ne déclenche la même question lancinante sur l’avenir de Martin.
Et pour cause : le champion du monde 2024, qui a raté cinq des six premières manches de la saison en raison de blessures, aurait tenté — via son manager Albert Valera — de faire jouer une clause de sortie liée à ses résultats. Une clause évidemment devenue caduque du fait de son indisponibilité prolongée… due à des chutes, non à la moto. Pas de vice de forme, pas de libération.
En toile de fond, on devine la tentation de Honda, prêt à offrir à Martin un contrat à 10 ou 12 millions d’euros, bien loin des 3,5 millions perçus actuellement. Aprilia le sait, et envoie un message implicite : les contrats, on les respecte — et les pilotes sous contrat ne sont pas à vendre.
Ce communiqué confirme également que toutes les obligations salariales ont été remplies — une manière de couper court à toute critique sur l’attitude de la marque. Et plus encore, il y a là une déclaration de guerre feutrée aux méthodes japonaises : pas de contrat rompu à l’amiable comme avec Zarco chez KTM, pas d’éjection comme Viñales chez Yamaha. Ici, on veut maintenir la stabilité, les engagements et l’image.
Pourquoi Aprilia a eu raison de tenir bon
Certains observateurs s’interrogent : à quoi bon conserver un pilote qui veut partir ? La réponse est simple : Jorge Martin n’a pas demandé à partir à cause de la moto. Il ne fuit pas un projet technique, mais poursuit une offre économique supérieure. Or, sportivement, Aprilia peut encore lui offrir un cadre compétitif — en tout cas plus qu’une RC213V toujours en détresse.
Et pour Jorge, une saison pleine avec Aprilia pourrait être la meilleure carte de visite pour le futur. Le contrat va jusqu’en 2026 ; la grille est déjà quasiment bouclée jusqu’à cette échéance. S’il veut se positionner pour 2027 — avec Ducati ou ailleurs —, il lui faudra performer.
Aprilia, en tenant tête, ne protège pas seulement ses intérêts sportifs, mais aussi la crédibilité du championnat. Laisser filer un champion sous contrat enverrait un signal de faiblesse, voire d’amateurisme. Ce que Carmelo Ezpeleta, patron de Dorna, ne peut se permettre alors que Liberty Media entre dans le jeu. Il n’est pas exclu qu’il ait lui-même soufflé à Noale de tenir bon.
Le message Instagram énigmatique de Jorge Martin – « Ce retour est personnel – jour 1 » – pourrait donc marquer un tournant d’acceptation. Comprendre qu’il devra faire avec Aprilia. Mieux : qu’il devra briller avec Aprilia, s’il veut négocier un contrat en or ailleurs.
Car comme le résume cruellement un observateur du paddock : vouloir claquer la porte, c’est une chose. La claquer tout seul et se cogner à un mur de béton juridique en est une autre. La balle est désormais dans le camp du pilote. Sa réponse, elle, se fera probablement sur la piste.