Depuis un an, plusieurs signaux faibles – ignorés, minimisés ou démentis – convergeaient vers une même hypothèse : la Chine prépare une entrée massive dans le MotoGP. Pas avec un simple Grand Prix. Ni avec un programme compétition. Mais par une prise de position stratégique, industrielle, commerciale et politique.
Selon Motorsport, Carmelo Ezpeleta, PDG de Dorna, s’est rendu début novembre à Shanghai accompagné d’au moins deux vice-présidents. Le déplacement n’a jamais été annoncé publiquement.
L’objet de la visite ? Finaliser l’accord de retour du Grand Prix de Chine. Rencontrer les dirigeants de CFMoto et des autorités provinciales. Poser les bases d’un futur investissement chinois dans le MotoGP.
Un cadre interne de Dorna affirme : « ce n’était pas qu’une visite protocolaire. Les Chinois veulent revenir, mais ils veulent beaucoup plus qu’un Grand Prix. Ils veulent être à la table. »
Les discussions auraient porté sur 2027. Mais la Chine a exigé une visibilité sur dix ans, ce qui placerait Shanghai au cœur du calendrier asiatique.
Derrière les projecteurs, le dossier le plus explosif concerne l’écurie KTM. Après la prise de contrôle de Pierer Mobility par Bajaj, l’équipe MotoGP se retrouve dans une zone de turbulences financières.
Un document détaille les projections budgétaires de KTM MotoGP pour 2026–2030. il y apparaît 60 millions d’euros par an de coûts minimum, et Bajaj demande une réduction de 50 %. D’où le scénario envisagé d’une cession du programme MotoGP. Le prix évoqué dans les échanges internes : 100 millions d’euros.
Une somme jugée « dissuasive » pour un acheteur européen. Mais pas pour CFMoto. Un ingénieur de KTM confie : « les Chinois ont posé des questions très précises. Sur la structure technique, sur les coûts moteurs, sur les droits de participation. Ils ne sondent pas. Ils préparent. »
Le 11 novembre dernier, une délégation de dix cadres chinois — dont plusieurs responsables industriels de CFMoto — a visité l’usine KTM de Munderfing. Là encore, silence médiatique total.
Le même ingénieur ajoute : « dans l’usine, tout le monde sait. Ils ne sont pas venus regarder des motos. Ils sont venus regarder une entreprise à acheter. »

« Ils veulent que la Chine vienne, mais ils ne veulent pas qu’elle prenne le contrôle. Mais on ne choisit jamais vraiment avec la Chine »
La Chine ne débarque pas par hasard. Ce que le MotoGP voit aujourd’hui, le WorldSBK l’a déjà vécu. Avec Kove, champion du monde Supersport 300, QJMotor, régulier en Supersport, ZXMoto, engagé avec la meilleure équipe Supersport (Evan Bros) en 2025. CFMoto est en Moto3 et Moto2, comme sponsor majeur.
Dans tous les cas, la méthode est identique : entrer par les portes secondaires, investir massivement, mettre en place des structures techniques propres, attirer des équipes occidentales en difficulté et, surtout, ne jamais communiquer avant d’avoir verrouillé.
Un manager de Superbike, habitué aux marques chinoises, commente : « ils ne cherchent pas à exister dans le paddock. Ils cherchent à s’y insérer comme un acteur structurant. Ils n’achètent pas des teams pour exister. Ils achètent pour devenir incontournables. »
Le MotoGP serait la dernière marche d’un escalier déjà monté.
La Chine veut un plan à 10 ans avec trois éléments. Une équipe MotoGP 100 % sous contrôle chinois, que ce soit par rachat direct de KTM, ou par rachat d’une structure satellite, ou via création d’un nouveau team soutenu par Dorna.
CFMoto murmure : « la décision de monter en MotoGP est prise. Reste à savoir si ce sera par construction ou acquisition. Mais l’acquisition est largement préférée. »
Le deuxième point est un Grand Prix national durable. Et surtout, sous contrôle chinois – au contraire du GP d’Inde qui reste sous gouvernance Dorna. Un GP dont l’organisation serait confiée à un consortium chinois mené par CFMoto.
Enfin, un soft power industriel et sportif. Contrairement à l’idée reçue, il n’est pas seulement question de visibilité nationale. La Chine veut montrer qu’elle sait faire des motos performantes, mettre en avant ses technologies électriques/hybrides dans les futures réglementations, devenir incontournable au niveau logistique, marketing et industriel.
Un consultant en géopolitique du sport confirme :
« Pékin a compris que la moto est le seul sport mécanique où les Européens et les Japonais résistent encore. Le MotoGP est un dernier bastion. Ils vont le prendre, comme ils ont pris l’automobile. »
Un manager d’une équipe italienne admet :
« Si CFMoto rachète KTM, c’est un déséquilibre colossal. Les constructeurs japonais sont faibles, Honda est en reconstruction, Yamaha aussi. L’Europe ne peut pas rivaliser financièrement. »
Dorna, de son côté, joue la montre. Car l’arrivée de capitaux chinois pourrait sauver des équipes en difficulté, renforcer le calendrier asiatique, attirer de nouveaux sponsors, sécuriser l’après-2027. Mais elle comporte le risque massif d’une dépendance structurelle.
Un proche d’Ezpeleta résume : « ils veulent que la Chine vienne, mais ils ne veulent pas qu’elle prenne le contrôle. Le problème, c’est qu’on ne choisit jamais vraiment avec la Chine. »
Le plan chinois n’est pas un futur. Il est déjà en cours. Le MotoGP fait face à un tournant historique. Un Grand Prix de Chine quasi acté. Un rachat de l’équipe KTM en négociation avancée. Une stratégie industrielle chinoise déjà en réussite en Superbike. Un paddock fragilisé financièrement, prêt à accepter l’argent venant d’Asie.
Ce qui se prépare n’est pas une participation c’est une prise de position stratégique. Et comme toujours dans ce sport, les décisions les plus importantes ne se jouent pas sur la piste… mais dans les salles de réunion où les caméras n’entrent jamais.





























