Dans l’univers feutré mais hypercompétitif du MotoGP, rares sont les figures techniques à susciter autant de respect que Manuel Cazeaux. L’ingénieur argentin de 47 ans, aujourd’hui chef d’équipe de Maverick Viñales chez KTM, a traversé les plus grandes usines – Ducati, Suzuki, Aprilia – sans jamais perdre de vue son objectif : faire gagner ses pilotes. Et surtout, les comprendre.
Cazeaux et Viñales, c’est une histoire de trajectoire partagée. De leurs débuts communs chez Suzuki en 2015 jusqu’à la victoire historique de Viñales à Austin en 2024 sur l’Aprilia – seul triomphe non-Ducati de la saison –, leur relation s’est consolidée, affinée, maturée.
« À l’époque, il était jeune et trop impulsif ; il fallait parfois le ralentir », se souvient Cazeaux. Mais aujourd’hui, c’est un tout autre pilote qu’il décrit. « Je ne sais pas comment il est perçu de l’extérieur, mais Maverick est très amical avec tout le monde dans l’équipe. Il est sincère. Et quand un pilote a ce talent, ça facilite beaucoup de choses, même quand on a du mal à trouver l’équilibre sur la moto. »
Depuis leur arrivée chez KTM, les deux hommes s’attaquent au défi technique de la RC16 version 2025. Malgré une adaptation rapide, la quête de la configuration parfaite continue. « Il nous reste encore à trouver une solution », admet Cazeaux après une course frustrante à Silverstone.
Diplômé de Bologne, formé dans le giron de Ducati Corse, Cazeaux a vécu de l’intérieur la saison de titre mondial de Casey Stoner en 2007. Puis, après près de dix ans à Borgo Panigale, il a rejoint Suzuki à l’invitation de Davide Brivio.
Manuel Cazeaux : « avant, je dirais que le pilote représentait 70 % de la performance. Aujourd’hui, c’est l’inverse »
« Quitter Ducati a été une décision très difficile », confie-t-il. « Mais je ne voulais pas revivre la frustration de 2016 avec Maverick. Quand il a décidé de quitter Aprilia, j’ai suivi. Les choses se passent bien avec lui, alors j’ai dit : vivons l’expérience KTM. »
Cette fidélité paie. Viñales ne tarit pas d’éloges sur Speedweek : « Manuel est actuellement le meilleur chef d’équipe du paddock – non seulement pour ses connaissances et son expérience, mais aussi pour son attitude. Quand je suis arrivé chez KTM, mon seul souhait était : j’ai besoin de Manu… »
Au fil des années, Cazeaux a évolué avec son sport. « Aujourd’hui, le MotoGP est devenu très technique – surtout depuis 2019/2020. Avant, je dirais que le pilote représentait 70 % de la performance. Aujourd’hui, c’est l’inverse. » Le rôle de l’ingénieur est devenu central, et le binôme avec le pilote plus crucial que jamais.
Son calme, sa pédagogie, son flair technique, mais aussi sa capacité à rester humain font la différence. « On apprend, et j’en parle souvent avec Maverick. Nous sommes humains. Parfois on commet des erreurs, mais le temps de récupération est crucial. C’est comme au tennis. Ceux qui se recentrent le plus vite font la différence. »
Respecté par ses pairs, admiré par ses pilotes, Cazeaux reste modeste. Il travaille dans l’ombre, se méfiant des rumeurs du paddock. « On n’a pratiquement aucune information et on ne peut pas se fier aux ragots. Je m’identifie à quelqu’un comme Gabarrini. Nous travaillons de manière similaire. »
Alors que Viñales continue de faire progresser la RC16 et que KTM se bat pour revenir aux avant-postes, une chose est certaine : derrière chaque dixième de seconde gagné, chaque ajustement décisif en course, il y a l’empreinte d’un homme comme Manuel Cazeaux. Et comme il le rappelle à ses enfants : « si vous faites quelque chose, faites-le bien. Sinon, ne le faites pas. »