Pendant des décennies, l’idée d’un retour d’un Grand Prix Moto en milieu urbain a flotté comme un fantasme romantique… aussitôt rattrapé par la réalité brutale de la sécurité et des coûts. Aujourd’hui pourtant, cette ligne rouge semble de nouveau franchissable. Franco Uncini, ancien champion du monde 500 cc et surtout ancien responsable de la sécurité à la FIM, estime que ce qui était autrefois un casse-tête insoluble est désormais techniquement et financièrement “réalisable”. Le MotoGP en ville passerait-il de l’utopie dangereuse à un projet désormais crédible ?
Ses propos interviennent dans un contexte précis. Carmelo Ezpeleta, PDG de Dorna Sports, a ouvert publiquement la porte à l’utilisation de certains circuits urbains de Formule 1 pour le MotoGP. Une déclaration loin d’être anodine, tant la discipline a historiquement tourné le dos aux tracés en ville pour des raisons vitales.
Car le MotoGP n’a pas seulement une histoire avec les circuits urbains : il en a aussi payé le prix. De Spa à Imola, en passant par Brno version ancienne à l’île de Man (hors championnat), la montée en puissance des performances, des vitesses de pointe et de l’aérodynamique a rendu ces tracés incompatibles avec les standards modernes de sécurité. Le passage aux circuits permanents n’a jamais été un choix marketing, mais une nécessité.
Franco Uncini le rappelle sans détour. Lorsqu’il occupait le poste de responsable sécurité à la FIM, le sujet avait déjà été étudié. Et à l’époque, le verdict était clair : trop cher, trop complexe, trop risqué.
« On en avait déjà parlé, et nous avions examiné certaines possibilités. Mais c’était très complexe, car il aurait fallu modifier un circuit urbain existant pour la Formule 1. Cela nécessitait un investissement important. »
Le cœur du problème ne résidait pas uniquement dans la présence de murs, mais dans ce qu’ils impliquent : l’impossibilité de créer des zones de dégagement suffisantes, capables d’absorber l’énergie d’un impact à plus de 300 km/h. En MotoGP, une chute mal orientée ne pardonne pas.
Ce qui a fondamentalement changé, selon Uncini, c’est l’environnement économique du MotoGP. L’arrivée de Liberty Media, nouveau propriétaire du championnat, rebat totalement les cartes.

Franco Uncini : « la situation a changé avec l’arrivée de Liberty Media. À mon avis, cela pourrait être réalisable »
Là où Dorna devait composer avec des équilibres budgétaires fragiles, Liberty dispose d’une puissance financière et d’une vision commerciale globale déjà éprouvée en Formule 1.
« La situation a changé avec l’arrivée de Liberty Media. À mon avis, cela pourrait être réalisable. »
Autrement dit : l’argent n’est plus un obstacle absolu. Les investissements massifs nécessaires pour adapter un circuit urbain — protections, reconfigurations, zones de freinage, barrières spécifiques, dégagements temporaires — deviennent envisageables dans une logique de produit premium mondial.
Mais Uncini va plus loin, en déconstruisant une idée reçue : tous les murs ne sont pas forcément incompatibles avec le MotoGP.
« Ces murs ne sont pas possibles, sauf dans les lignes droites. Dans ce cas, un mur ne nous dérange pas beaucoup car en ligne droite, même en cas d’accident, la trajectoire est rectiligne. »
L’argument est technique, presque chirurgical. Sur une ligne droite, les murs sont parallèles à la trajectoire. Il n’y a pas d’angle d’impact violent, celui-là même qui transforme une chute en drame dans un virage urbain étroit. Les accidents y sont aussi statistiquement plus rares, sauf défaillance mécanique majeure.
« Les collisions en ligne droite sont très peu probables, sauf en cas de défaillance technique. »
Ce raisonnement ouvre une brèche : un circuit urbain partiellement “hybride”, combinant longues lignes droites sécurisées et sections plus ouvertes, pourrait devenir acceptable pour le MotoGP moderne — à condition d’un travail d’ingénierie extrême.
Enfin, Uncini glisse sur GPOne un élément clé, presque politique. Pour lui, les déclarations d’Ezpeleta ne sont pas improvisées.
« Je dirais qu’une solution peut être trouvée, et s’ils font certaines déclarations, c’est qu’ils ont déjà une formule. »
Autrement dit : le débat public serait la partie émergée de l’iceberg. Des études, des simulations, voire des projets concrets existeraient déjà en coulisses. Le MotoGP n’explore pas une idée abstraite, mais prépare potentiellement une mutation stratégique de son modèle événementiel.
Reste une question centrale, presque philosophique : jusqu’où le MotoGP peut-il aller sans trahir son ADN sécuritaire ? Car si Liberty Media apporte les moyens, la discipline reste un sport où l’erreur humaine se paie plus cher que dans n’importe quelle autre catégorie majeure.
Le MotoGP en ville n’est plus un tabou. Mais il demeure un pari. Et comme souvent dans l’histoire de ce sport, tout dépendra de la ligne — parfois très fine — entre spectacle, innovation… et responsabilité.





























