Le monde des Grands Prix évolue à une vitesse phénoménale, peut-être plus impressionnante encore que celle des prototypes engagés en catégorie MotoGP. Il y a six mois, Ducati était imbattable, sans rival. Et, aujourd’hui, avec un Bagnaia complètement à côté de la plaque et un Marquez blessé, l’hégémonie de la firme est en péril. Le pire, c’est que cela pourrait bien s’aggraver dans un futur proche. Faut-il déjà s’inquiéter pour Ducati ? Analyse.
Y a-t-il le feu ?
Si vous vous concentrez uniquement sur les résultats, vous me direz que je fabule complètement, qu’une simple blessure de Marquez et une méforme de Bagnaia ne sont pas des raisons suffisantes pour faire des titres aussi graves. La dynamique, elle, a bel et bien tourné, et je vais essayer de vous le prouver.

Aldeguer a sauvé la mise en Indonésie… et heureusement. Photo : Michelin Motorsport
Certes, Ducati réussit encore à s’imposer tous les week-ends. C’est une vérité, un fait. En Indonésie, là où la Desmosedici était en grande difficulté, Fermin Aldeguer a triomphé, et Alex Marquez était troisième. La firme de Borgo Panigale a remporté toutes les courses dominicales de l’année, sauf deux ; dont une sous la pluie. De la même manière, seuls deux Sprints ont échappé à Ducati, à Misano, et en Indonésie. Nous serons d’accord pour dire que l’entité italienne n’a rien perdu de sa superbe. Analysons l’année sous un autre prisme.
Les rivaux de Ducati se rapprochent week-end après week-end, tout simplement. L’écart est quasiment comblé à l’heure où ces lignes sont écrites. Je pense tout d’abord qu’Aprilia n’a jamais été aussi fort qu’actuellement, et, heureusement pour Ducati, Jorge Martin a manqué la grande majorité de cette saison. Yamaha tâtonne encore, mais il faut féliciter leur force de travail, qui leur permet de créer une toute nouvelle moto pour un an seulement, dotée d’un moteur à l’architecture jamais utilisée dans l’histoire de la firme en MotoGP. Honda, pour le coup, a réalisé de très grands progrès. Ce Grand Prix d’Autriche salvateur a permis à Luca Marini et Joan Mir de devenir deux candidats réguliers au top 5, même si cela a aussi déclassé Johann Zarco pour une raison assez floue d’ailleurs.
Étudions un instant la dynamique de Ducati. Depuis 2022, un pilote doté d’une Desmosedici remporte le titre mondial. Jusqu’ici, on pouvait facilement constater que la moto tenait une part non négligeable de la performance de chacun de ses pilotes. En 2022, en 2023 et 2024, nous avions d’excellents Jorge Martin et Pecco Bagnaia, certes, mais aussi un très bon Johann Zarco, un solide Luca Marini, deux explosifs Marco Bezzecchi et Enea Bastianini, et un surprenant Fabio Di Giannantonio. On sentait une véritable hégémonie, pour reprendre le terme utilisé en introduction.
J’ai la vive impression que ce bloc s’est fissuré. En 2025, ce n’est pas Ducati qui a écrasé l’année, non, c’est Marc Marquez. Exactement comme lorsqu’il gagnait avec Honda. C’est une différence majeure. Oui, son frère Alex va finir vice-champion, d’accord, mais lui utilise une moto full 2024, qui date d’une époque où la marque était imbattable. De plus, la physionomie de sa saison est particulière ; très fort au début, il a aussi pu passer totalement à côté de certains week-ends.
Ducati devra revoir sa copie ?
Pour l’instant, il n’y a rien de grave en soi, les trois titres majeurs sont déjà en poche. Mais, en 2026, qu’en sera-t-il ? De toute évidence, la Desmosedici GP25 n’était pas une si bonne moto que ça. Marquez gagne dessus comme il s’imposerait avec une KTM ou une Yamaha. Fabio Di Giannantonio, que l’on croyait finalement assez régulier, est capable de se trouer complètement à son guidon. Et à quelques semaines de la fin, on peut l’affirmer : son exercice ne fait pas rêver. Puis, reste l’évident, mais douloureux cas Pecco Bagnaia.
À partir du moment où un triple champion du monde de la trempe de Bagnaia, soit un homme capable de s’imposer face à Marquez en duel, de remporter onze Grands Prix dans une saison, et de triompher du titre mondial avec une maestria peu égalée au XXIe siècle, tombe de la dernière position sur une moto qu’il ne comprend pas, c’est qu’il y a un problème. La lente descente aux enfers de Pecco nous a peut-être fait l’oublier, mais il s’agit d’un cas unique dans l’histoire ! Jamais je n’avais vu un pilote d’usine autant en difficulté. Et Ducati ne trouve pas de solution.

Bezzecchi est maintenant un pilote toujours en lice pour la victoire et la pole position. Il montre aussi qu’il y a un avenir après Ducati. Photo : Michelin Motorsport
Un futur menacé ?
En 2026, Ducati sera toujours au même rang de concession ; le « A », soit le plus restrictif. Yamaha et Honda pourront encore développer le moteur, alors que la Desmosedici devra se trimbaler le moulin spec 2024, conservé pour 2025. KTM peut progresser, et si Aprilia arrive à sortir une bonne moto des ateliers de Noale, le duo Bezzecchi/Martin pourrait faire très, très mal. Si l’on ajoute à cela un possible retour aux affaires de Quartararo et de Zarco, et un Acosta plus énervé que jamais, oui, je pense que la marque italienne pourrait être menacée l’année prochaine.
Vous me direz : « il reste toujours Marc Marquez », et vous avez raison. Cependant, je suis obligé de rappeler qu’il est très souvent de passage à l’infirmerie depuis 2020, et que sa carrière, comme on le sait, peut s’arrêter à tout moment sur une mauvaise chute. Alors, quoi, sommes-nous à un highside de Marc Marquez de voir une autre machine qu’une Ducati titrée en 2026 ?
Vous pourriez croire que je plaisante, mais ce n’est pas le cas. Regardez les résultats des dernières courses. Marco Bezzecchi est en mesure de s’imposer plutôt fréquemment, tout comme Pedro Acosta, qui presse depuis la mi-saison. Bastianini a aussi montré d’énormes progrès. L’année dernière, essayez de trouver une seule course où ne serait-ce que trois Ducati étaient totalement aux fraises, comme à Mandalika il y a quinze jours. Essayez de trouver un seul Grand Prix où un pilote Aprilia, Honda ou KTM aurait pu s’imposer sur une piste favorable à Ducati type Misano. Pour rappel, en 2024, il y a eu les exploits de Maverick Vinales à Austin (les deux jours), toujours inexpliqués, un succès de « Top Gun » en Sprint au Portugal, et une victoire d’Aleix Espargaro le samedi à Barcelone… après que Pecco Bagnaia ait chuté de la première place dans le dernier tour. C’est tout ce qui a échappé à Ducati.
Voici une simple comparaison. L’année passée, des pilotes qui ne roulaient pas sur Ducati ont réussi à s’immiscer dans le top 3 à 18 reprises en 40 courses. Certes, ils sont deux de moins sur la grille cette saison (c’est à relativiser avec la longue convalescence de Morbidelli et la méforme de Bezzecchi alors que tous les pilotes Ducati ont été performants pendant une période significative en 2025), mais nous en sommes déjà à 21 occurrences, le tout en 36 courses…et 14 depuis Brno, soit la mi-saison ! Ce chiffre va forcément augmenter, et sans Jorge Martin qui plus est.
Conclusion
Si l’on additionne l’affaire Bagnaia, le comportement un poil hasardeux de Tardozzi, l’espèce d’incompréhension entre Ducati VR46 et l’équipe d’usine, la blessure de Marquez qui rappelle à quel point l’Espagnol joue avec le feu, et la performance nette de la GP25 dont vont hériter deux pilotes l’année prochaine… il y a de quoi se poser des questions. Cela tranche avec les résultats, certes, mais il ne faut pas oublier le contexte et la dynamique actuelle, qui, elle, donne raison aux concurrents à commencer par Aprilia.
Je suis curieux d’avoir votre avis sur la question. Dites-moi ce que vous en pensez en commentaires !
Pour rappel, cet article ne reflète que la pensée de son auteur, et pas de l’entièreté de la rédaction.

La KTM RC16 n’a pas l’air si incroyable, et, pourtant, Acosta réussit à chatouiller les meilleurs pilotes Ducati. Photo : Michelin Motorsport
Photo de couverture : Michelin Motorsport