Depuis le début de l’année, on parle beaucoup de KTM, et notamment de l’avancement de ce projet entamé en 2017. Les difficultés financières ont altéré la dynamique cet hiver, et Pedro Acosta est un peu lassé, même s’il y a peu de chances pour qu’il rompe son contrat à la fin de la saison. Mais en prenant un peu de recul, où en est ce programme ? Peut-on se satisfaire des résultats acquis jusqu’à maintenant ? Est-ce que KTM peut vraiment réussir à faire quelque chose en MotoGP ? Analyse.
Beaucoup de déception
Pour avoir une bonne compréhension du sujet, il faut remonter le temps et s’imprégner du contexte de l’époque. Lorsque la RC16 a fait sa première sortie en MotoGP fin 2016, je me rappelle parfaitement des dires des différents commentateurs : « Quand KTM arrive, c’est pour gagner ». Ou bien, encore, le fameux : « Ils ont gagné partout où ils sont passés ». J’étais assez sceptique, car la motocross n’a rien à voir avec le championnat du monde MotoGP.

L’arrivée d’Aki Ajo dans l’équipe d’usine MotoGP est une bonne idée. Photo : KTM
Puis, s’est mis en place une vraie stratégie « Red Bull-ienne », avec une sorte d’académie de performance, qui accompagnait les pilotes de la MotoGP Red Bull Rookies Cup à la catégorie reine. Par l’intermédiaire de l’excellent Aki Ajo, les pilotes pouvaient suivre un chemin tout tracé en Moto3 et en Moto2 – où KTM construisait même ses propres châssis, il fut un temps. Même si l’inspiration du modèle Formule 1 paraissait évidente, c’était plutôt innovant et trahissait l’énorme ambition de la marque.
Forcément, l’apprentissage en MotoGP fut plutôt difficile. Il y a eu des hauts – notamment la vitesse de Pol Espargaro, la première pierre angulaire du programme –, et des bas – le cas Johann Zarco. Les Autrichiens ont rapidement atteint un très bon niveau, puisqu’en 2020, Brad Binder remportait la première course pour la firme de Mattighofen en MotoGP. Elle fut rapidement suivie par deux autres de Miguel Oliveira, alors chez Tech3, ce qui en faisait l’une des principales forces du plateau.
Les concessions aidant, KTM a habilement surfé sur cette bonne dynamique pour réaliser une solide saison 2021. Encore une fois, Binder s’est imposé, et Oliveira était capable de jouer des victoires sur le sec comme sur le mouillé. Le problème, c’est que ce n’était pas l’objectif. J’exagère à peine. Pour moi, cette saison 2021 est un moment charnière, celui qu’on étudiera dans quelques années en se disant que c’est là qu’il y avait moyen de faire quelque chose. Tout était très bien fait chez KTM, avec deux pilotes issus de la formation autrichienne dans l’équipe d’usine, deux excellents éléments pour le développement, un team satellite à la renommée quasi-légendaire… et pourtant, aucun cap n’a été franchi.
C’est d’ailleurs ce que disait Mike Leitner, à l’époque directeur de course en MotoGP. Cette saison 2021, en apparence correcte, n’était pas à la hauteur des attentes. Et depuis, si l’on met de côté quelques exploits individuels, c’est très compliqué.
KTM en MotoGP, un rendez-vous manqué ?
Enfin, j’omets un détail important. Cette fameuse saison 2023 de Brad Binder. Quand le Sud-Africain a rejoint KTM en 2020, on l’annonçait comme un crack, un futur grand. Et il confirma avec une régularité exemplaire, notamment lors de la saison 2022 où il sauva les meubles avec une bonne position au général.

Je dis que Binder est décevant en 2025, mais c’était déjà le cas en 2024. Photo : Michelin Motorsport
Peut-être galvanisé par cet exercice réussi sur le plan individuel, Binder changea radicalement de profil en 2023 et devint un pur attaquant. Il était énorme, certes, mais incapable de s’imposer face aux monstres qu’étaient Jorge Martin, Marco Bezzecchi et Pecco Bagnaia. Je crois que c’est le deuxième moment charnière, et le plus grave d’entre-eux. Le très haut niveau requiert une capacité d’exécution chirurgicale. S’il y a une occasion, il faut marquer. Si on la rate, elle ne se représentera peut-être plus.
Je crois que Suzuki est un bon exemple. Sous la direction du brillant Davide Brivio, la firme est arrivée en 2015, et n’a eu qu’une seule opportunité en or depuis : 2020, avec deux très bons pilotes et la blessure de Marc Marquez. Résultat : titre pilote pour Mir, et troisième place au général pour Alex Rins. KTM n’a pas su être efficace au bon moment, et c’est dommage en un sens, pour une entreprise à la renommée si grande en sports mécaniques.
Binder, un problème ?
Maintenant, il faudrait essayer de savoir pourquoi ça ne l’a pas fait en 2021 et 2023. Pourquoi KTM n’a pas passé ce cap, qui l’aurait fait quitter la dimension d’Aprilia et rejoindre celle de Ducati ? Je vois quelques raisons, et l’une d’elles vous paraîtra peut-être cruelle. Je pense en effet que Brad Binder n’était pas celui sur lequel il fallait miser. Oui, il était excellent, mais a posteriori, il n’a jamais eu de concurrence à son niveau. Miguel Oliveira, que j’adore, ne pouvait pas tenir la cadence sur toute une saison, et, globalement, est un moins bon pilote que Binder. Mais le Portugais arrivait à s’imposer, il arrivait à débloquer cette extra-performance quand il le fallait. Binder a souvent buté, et il brillait de par son pilotage, d’accord, mais à côté de qui ? Un Pol Espargaro sur le déclin en 2020 ? Un Jack Miller en perte de vitesse en 2023 comme en 2024 ? La présence de Pedro Acosta à ses côtés donne raison à cette analyse – et déjà en 2024 chez Tech3, finalement –, car pour la première fois, il a affaire à un crack, comme lui. Et il ne tient pas la comparaison.
Conclusion
Le projet KTM stagne, voire, régresse, depuis 2023. Par deux fois, la firme autrichienne a eu l’occasion de se hisser au niveau de Ducati, en 2021 et 2023, mais finalement, ça ne l’a pas fait. On pourrait parler des concessions, mais finalement, tout le monde est logé à la même enseigne. Je dois vous avouer que sans même parler des difficultés financières du groupe, je suis pessimiste quant à ce programme. Je crois que le train est passé, et qu’il sera très difficile de se relever surtout si Pedro Acosta a des envies d’ailleurs. En tout cas, je ne les vois pas passer devant Ducati – et même Aprilia – avant le début 2027 et l’introduction des nouvelles réglementations, quand toutes les cartes seront rebattues.
Je suis curieux de savoir si vous partagez mon analyse, alors, dites-le-moi en commentaires !
Pour rappel, cet article ne reflète que la pensée de son auteur, et pas de l’entièreté de la rédaction.

Si on m’avait dit que Maverick Vinales serait le pilote le plus convaincant de KTM en 2025… ça aussi, ça veut dire quelque chose. Photo : KTM
Photo de couverture : Michelin Motorsport