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En 2012, la vie de Joan Lascorz bascule. Le pilote espagnol vient de heurter un mur après une chute à 200 km/h sur le tracé d’Imola. Rapidement, les médecins s’accordent quant au diagnostic : tétraplégique, les quatre membres touchés et les deux membres inférieurs définitivement paralysés. Cependant, Lascorz est un battant, et n’a jamais déposé les armes. Retour sur une destinée singulière.

Joan, comme beaucoup de ses copains du monde moto, est catalan. Né en 1985, il est de cette génération dorée qui envahit les piste au milieu des années 2000. Il fait ses armes en pocket bike puis en supermotard, avant de passer sur l’asphalte à plein temps.

Lascorz est soutenu par l’équipementier moto Motocard, et s’engage en championnat du monde Supersport pour la saison 2007. Malgré un début d’année difficile, « Jumbo » progresse et monte même sur le podium en Italie. Des débuts pour le moins prometteurs.

Ne bénéficiant pas d’une machine officielle, Joan doit exceller pour espérer battre les Broc Parkes et autres animateurs de cette prestigieuse série. Il entame l’exercice 2008 avec une 2e place au Qatar, avant d’empocher sa première victoire à Valence, trois courses plus tard. Il mène désormais le championnat dans sa deuxième saison. Malheureusement, son matériel ne lui permet pas de se bagarrer pour la tête, et doit se contenter d’une encourageante cinquième place au général.

Photo : Kawasaki UK

Kawasaki lorgnait déjà sur son talent. Pour 2009, les verts lui offrent une machine d’usine, capable de jouer le titre. Lascorz n’en demandait pas tant. Affichant une régularité déconcertante après un début de saison poussif, il regarde l’opposition dans les yeux. Et quel plateau. À la fin des années 2000, le Supersport – ou WSSP pour les intimes – est l’une des catégories les plus excitantes en sports moto.

Cal Crutchlow est sacré, devant Eugene Laverty, Kenan Sofuoğlu et notre bon Joan Lascorz. Une victoire, cinq podiums et une pole ne suffisent pas face à de tels monstres. Pour 2010, Joan passe encore un cap.

Abonné au podium (huit en neuf courses avec une victoire), il se dirige vers une explication légendaire avec Sofuoğlu et Laverty, sur Honda. Cependant, le sort en décide autrement : un accident à Silverstone le blesse lourdement. Contraint de manquer les quatre dernières manches, il finit tout de même troisième du général.

Conscient de son très bon niveau, « Jumbo » profite d’une opportunité chez Kawasaki en Superbike pour la saison 2011. Une année moyenne, empreinte de régularité mais sans exploit. 2012 débute de la même manière, jusqu’à ce terrible accident d’Imola, intervenu en essai après les courses.

La stupeur s’empare du monde moto. Les paralysies sont devenues extrêmement rares sur piste, mais le risque zéro n’existe pas. Imola, piste maudite, fait ici une nouvelle victime. Un choix de tracé contesté, y compris par le principal intéressé. « Ce qui m’est arrivé est une honte. Je ne sais pas s’il s’agit de malchance ou si les conditions à Imola ne se prêtaient pas à une moto de 240 chevaux. Dans tous les cas, c’est immanquablement la fin de ma carrière en Superbike et d’une période de ma vie. »

Pour ceux qui se souviennent, le cas Lascorz avait créé un véritable débat de société à l’époque. En effet, n’ayant connu qu’une carrière de pilote, Joan avait sensibilisé le public sur la gestion de l’argent et les difficultés financières quand tout s’arrête du jour au lendemain. « Je vais devoir repartir de zéro et trouver un travail correspond à ma situation. Ça n’a pas été facile d’arriver au niveau au niveau où j’étais et c’était le résultat de nombreux efforts. Depuis que j’ai arrêté de livrer des pizza à 18 ans sur ma 50cm3 et que j’ai commencé ma carrière de pilote… […]  C’est une blessure qui vous tient non seulement à l’écart de la compétition mais qui vous marque pour la vie. »

Alors que tous les participants des championnats majeurs affichent un sticker « 17 power for Lascorz », certains, à l’image de Tom Sykes, se mobilisent en vendant un casque aux enchères afin d’aider l’Espagnol. Une fois commentateur, Joan disparaît peu à peu de nos fils d’actualités …

…Jusqu’à cette année ! En grand passionné, il ne s’était jamais éloigne du sport. À bord de buggys aménagés, il s’en allait disputer des compétitions en Espagne. En 2022, il est engagé sur la plus prestigieuses des courses sur terre : le Dakar. Grâce à une campagne de financement participatif, l’équipe lève 15 000 euros, assez pour s’engager au départ. Copiloté par Miguel Puertas, ancien lieutenant de l’armée de l’air, il s’agit du premier tétraplégique à s’y aligner. L’histoire est en marche. Arrivés 9e en catégorie SSV après plus de 8000 kilomètres, l’équipage exulte, sans oublier de remercier chaleureusement tous ceux qui ont rendu cela possible.

 

Lascorz dans les dunes saoudiennes.

L’histoire de Joan Lascorz est poignante, mais laisse un goût amer. Comment se fait-il qu’aucun média, ou presque, n’ait relayé son aventure sur le Dakar ? Pourquoi ignorer ce genre d’exploit, qui aurait dû faire grand bruit ? Ainsi, ce modeste papier lui est dédié, comme un « pardon », même si ce n’est pas grand-chose. Vamos Jumbo !

 

Photo de couverture : 17Foundation