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Le choix des fournisseurs de composants de frein est entièrement libre, et pourtant chaque prototype MotoGP sur la grille est équipé de pièces provenant exclusivement de chez Brembo, le fabricant italien. Malgré cette absence de concurrence, le fournisseur ne reste pas sur ses lauriers et développe de nouveaux systèmes pour aider les pilotes à ralentir leurs prototypes devenus de plus en plus performants. Parmi ces systèmes, le frein arrière évolue sans cesse. Après avoir été classiquement positionnée au niveau du pied droit, sa commande se trouve également au pouce voire au niveau de la main gauche avec un levier pour certains pilotes.

Frein arrière : au pied, au pouce ou avec un levier ?

Un changement important au cours des dernières années a été l’utilisation des freins au pouce par quasiment tous les pilotes. Comme les angles d’inclinaison ont augmenté, les pilotes ont eu moins d’espace pour déplacer leur pied droit pour actionner le frein arrière. Pour résoudre ce problème, certains pilotes, comme Andrea Dovizioso, sont passés à l’utilisation d’un frein à pouce, tandis que Marc Márquez a choisi d’utiliser un levier de frein à commande manuelle sur le guidon gauche, au-dessus ou en dessous du levier d’embrayage.

Ce changement de style de conduite a incité Brembo à développer des solutions pour y faire face, notamment des étriers arrière où les pistons sont actionnés par une combinaison de la main et du pied, ou deux systèmes séparés avec des pistons actionnés par des lignes distinctes actionnant un seul et unique étrier.

Sur la base des données de Brembo, la pression du pied sur le levier de frein arrière est de 50 bars, alors que la pression qui peut être exercée par le pouce n’est que de 10 bars. Cela signifie qu’avec un mécanisme standard, la pression produite par notre pouce gauche ne peut au mieux fournir que 20% de la pression maximale donnée par le pied droit, d’où la nécessité d’avoir 2 maîtres-cylindres distincts.

 

L’effort de freinage fourni par le pied ou le pouce est différent, d’où la nécessité de 2 maîtres-cylindres distincts

 

L’utilisation de ces systèmes se développe rapidement, et cela devient très populaire parce que de nombreux pilotes demandent d’utiliser le maître-cylindre de frein au pouce, à utiliser avec le pouce ou avec le doigt, comme un scooter. Parce que dans certains virages, il est très difficile d’actionner le frein arrière avec le pied, mais cela dépend du pilote.

Non seulement parce que différents pilotes sont plus ou moins capables de mettre le pied sur la pédale de frein arrière, mais aussi parce qu’ils utilisent le frein arrière différemment : pas du tout, avec une faible intensité ou très souvent.

Le frein au pouce fonctionne comme une sorte de contrôle de traction : il est activé au milieu du virage afin de rester proche du point de traction du pneu, en redressant la moto le plus rapidement possible. Et dans les virages à droite, les pilotes avec de grands pieds trouvent plus facile à utiliser sur l’angle d’inclinaison maximal car il n’y a aucun risque que la botte droite entre en contact avec l’asphalte.

Ils sont de plus en plus nombreux à utiliser le frein arrière au pouce, mais envisagent également d’utiliser un levier actionné par les doigts de la main gauche. Pourquoi ? Car cela permet de modérer la pression de freinage avec plus de précision, et c’est également plus naturel (cela ressemble aux freins de vélo).

 

La RC213V de Marc Márquez est équipée d’un levier de frein arrière type scooter

 

L’utilisation d’un frein arrière au niveau de la main gauche n’est cependant pas sans soulever de problèmes. Pour Brembo, qu’il soit au pouce ou avec un levier, cela ne change rien. Le problème, c’est la position, car il y a la poignée d’embrayage à proximité. Grâce à l’utilisation de la boite seamless, celui-ci n’est utilisé que lors des départs, mais il prend de la place, et il faut intégrer la seconde poignée sans risquer d’attraper par mégarde la mauvaise.

C’est comme réapprendre à marcher

Pourquoi tout le monde n’est-il pas déjà passé à l’utilisation d’un frein à levier, s’il est déjà monté sur d’autres prototypes ? En fait, il ne s’agit pas seulement de monter le système et de laisser le pilote s’en occuper. Ce n’est pas facile de changer d’un jour à l’autre, car gérer l’effort de freinage avec le pied n’est pas la même avec le doigt ni avec la main.

Le plus gros facteur est mental. La conduite doit être aussi naturelle que possible, les pilotes ont donc besoin de temps pour s’adapter à un changement aussi important que le passage du freinage avec le pied au freinage avec les doigts, c’est un nouveau ressenti qu’il faut appréhender. Et c’est très difficile en cours de saison, car si un pilote a des soucis sur un circuit juste après le changement de position du frein arrière, et c’est peut-être que le pilote utilise le frein arrière d’une manière différente. Pour cette raison, il n’y actuellement pas beaucoup de pilotes qui l’utilisent, mais selon Brembo, c’est l’avenir en MotoGP.

Valentino Rossi avait testé un frein au pouce en 2017 sur sa Yamaha au GP d’Aragon, un peu plus de trois semaines après s’être cassé le tibia et le péroné de la jambe droite. Il est arrivé cinquième, ce qui était inimaginable seulement quelques jours avant la course, et a été rendue possible grâce au talent incroyable de Rossi et grâce à une solution de freinage spécifique mise à disposition par Brembo pour remédier au problème d’avoir une jambe droite travaillant à moins de 100% : le maître-cylindre de frein adapté au pouce. Cela permet au pilote de contrôler le frein arrière sans utiliser sa jambe droite pour actionner une pédale. Au lieu de cela, il s’appuie simplement sur un petit levier monté sous le demi-guidon gauche qui est contrôlé par son pouce.

L’Italien avait déjà testé le système après la course de Brno. La configuration qu’il a testée était la version standard avec un levier au pouce et une pédale classique reliée au même maître-cylindre arrière. Avec cette version, il n’est pas possible d’actionner le frein arrière avec le pouce et la pédale simultanément, un seul des deux peut être utilisé. Mais après la blessure, Valentino voulait une solution avec deux circuits séparés afin de faire fonctionner le pouce et la pédale en même temps.

Même si cette solution technique a été conçue et construite il y a 25 ans, ce n’est que récemment que Rossi a commencé à l’utiliser. C’est Mick Doohan qui en a fait la demande alors qu’il était victime d’un grave accident lors d’essais au GP des Pays-Bas en 1992. Ayant presque perdu sa jambe droite dans un énorme accident et une opération bâclée à Assen, Doohan ne pouvait plus utiliser de frein au pied. Il avait besoin d’un contrôle sur le guidon qui pourrait remplir cette même fonction, et c’est ainsi que le maître-cylindre de frein arrière contrôlé par le pouce a vu le jour. Au fil des mois, Doohan a développé une sensibilité accrue et a remporté cinq championnats du monde consécutifs dans la catégorie 500cm3, de 1994 à 1998.

Lorsque Mick Doohan est passé à un frein au pouce, c’est parce qu’il n’avait pas le choix. Le besoin était différent et avait rendu le changement plus facile : Doohan était obligé de l’utiliser s’il voulait pouvoir continuer la compétition. Il en était de même pour Rossi, même si c’était temporaire. Désormais, l’objectif du pilote est de gagner du temps. Mentalement, c’est différent.

Et si les résultats ne sont pas là dès la première utilisation, il est difficile d’être convaincu de son utilité. Néanmoins, comme nous l’avons vu, il faut un certain temps avant d’être efficace avec ce nouveau levier.

Des soucis d’intégration

C’est un peu plus compliqué que de simplement boulonner un nouveau système et de laisser le pilote reprendre la piste. Quand la HRC l’a essayé avec Marc Márquez, il y avait des points positifs, et, bien sûr des points négatifs, parce que c’est quelque chose de nouveau. Mais on a également vu Valentino Rossi l’essayer, et Yamaha l’a retiré. Ils ont dû trouver des points positifs et des points négatifs, mais s’il doit choisir en milieu de saison, il préfère peut-être rester sur quelque chose de connu, plutôt que d’essayer quelque chose de nouveau qui a un point d’interrogation.

Le passage à un système de freinage différent est facilité si cela se fait en début de saison, comme pour Karel Abraham, qui utilise un levier au niveau de la main gauche depuis le premier test au Qatar en 2019, et il a gardé cette solution, car pour lui maintenant, c’est devenu facile à utiliser.

 

Sur la Ducati Avintia de Karel Abraham, on aperçoit 2 leviers au niveau de la main gauche : un pour l’embrayage, l’autre pour le frein arrière

 

Ce n’est pas seulement le pilote qui doit y réfléchir. Le positionnement du levier de frein et du maître-cylindre qui l’accompagne ainsi que d’autres composants sont également un facteur dont les mécaniciens et les ingénieurs doivent tenir compte, et c’est quelque chose qui doit également être testé.

Il faut penser également à une possible panne, et à son remplacement. Si le système est positionné à un endroit où le réparer prend beaucoup de temps, ce n’est plus un avantage et devient même un problème. Les motos de courses sont conçues pour aller vite, mais également pour être faciles et rapides à réparer. Le temps perdu à réparer le système de freinage après une chute est du temps pendant lequel la moto n’est pas en piste. Les mécaniciens doivent donc également tester et valider le système avant son entrée en piste.

Tests supplémentaires

C’est pourquoi Márquez n’a essayé que brièvement le frein arrière avec un levier en 2019, car il manque encore de développement, et Márquez doit encore s’y habituer.

Le changement était similaire à lorsque les pilotes sont passés de l’utilisation de disques en acier sous la pluie à l’utilisation de disques en carbone avec des protections. Auparavant, personne ne les utilisait, maintenant tout le monde les utilise, et cela a du sens. Si vous le couvrez, l’eau ne touche pas le carbone, et le disque reste dans une plage de températures où il est efficace. Mais pour des choses comme ça, il faut du temps, il faut vérifier beaucoup de choses, tester, essayer de comprendre.

Il est à noter qu’à Sepang, en 2019, Marc Márquez a utilisé le frein arrière à levier lors des essais du vendredi. Après avoir remporté le titre en Thaïlande et avec une météo constante à Sepang, le pilote Repsol Honda a eu le temps d’évaluer à nouveau le système. C’est un peu comme avoir un temps de tests supplémentaire, il peut se permettre d’être moins rapide lors d’une des séances d’essais, et de penser à l’avenir. « Nous avons essayé dans le passé mais je n’aimais pas ça, surtout le feeling que j’avais », a déclaré Márquez en Malaisie. « Normalement, sur le côté gauche, je suis très rapide et à droite, je suis OK – toujours rapide – mais pas très rapide. C’est là que nous avons essayé de trouver quelque chose de plus, mais ce n’était qu’un premier ressenti, un premier contact. »

 

Le levier de frein arrière est ici bien visible

 

Márquez n’avait jamais utilisé un frein arrière au pouce, car cela signifiait lâcher le guidon et perdre le contact avec la moto dans une certaine mesure. « Avec le pouce, je n’aime pas. J’ai besoin de sentir le guidon avec ma main », a déclaré Márquez.

Le frein à levier avait du potentiel, mais il avait encore besoin de quelques évolutions. « Pour le moment, ce n’est pas prêt », a déclaré Márquez. « C’était un premier contact pour voir si c’était une possibilité à utiliser dans le futur, s’il y avait un réel potentiel, et pour le moment il n’y en a pas. Ce n’était pas un avantage supplémentaire. C’est difficile et ils [NDLR : Brembo] doivent continuer à l’améliorer pour voir si cela peut mieux fonctionner. »

Ne soyez pas surpris de voir Marc Márquez utiliser un frein de scooter lors de la saison 2020, après son expérience à Sepang. Et ne soyez pas surpris si vous voyez Valentino Rossi faire de même, après avoir essayé un frein à levier lors du test de Brno l’année dernière. En fait, ne soyez pas surpris si vous voyez la moitié de la grille équipée de ce système lors des tests de fin de saison. Brembo est peut-être le seul fournisseur de freins de la grille MotoGP, mais le développement se poursuit à un rythme effréné. Il y a toujours quelque chose de nouveau à découvrir.