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L’hypothèse d’un passage l’année prochaine en catégorie reine du pilote turc Toprak Razgatlioğlu nous permet d’évoquer aujourd’hui un sujet qui alimente beaucoup les polémiques. En effet, le MotoGP a toujours bénéficié d’une aura inégalée en termes de prestige et de brio pour les hommes qui l’animent, qualifiés sobrement de meilleurs pilotes du monde.

C’est sans doute oublier un peu vite que des talents exceptionnels sont également nés au sein de la catégorie du World Superbike, LE championnat officiel des machines issues de la série. Il s’agit d’ailleurs de la différence la plus notable comparativement à la MotoGP où les machines sont de purs sport-prototypes aux coûts de conception élitistes.

Né en 1988 sous l’égide de la FIM, le Superbike donne lieu chaque weekends de courses à des joutes particulièrement animées.

L’ensemble des marques reconnues de l’univers moto y sont ou y ont été engagées officiellement, de façon ponctuelle ou permanente : HONDA, KAWASAKI, SUZUKI, YAMAHA, APRILIA, BMW et la marque italienne DUCATI titrée 18 fois. Elle vient même de décrocher sa 400e victoire ce weekend lors de la deuxième course disputée à Assen grâce aux bons soins d’Álvaro Bautista.

De nombreux transfuges de la catégorie des Grands prix ont déboulé en WSBK. Le Français Raymond Roche fait partie de ceux-là : arrivé en 1990, il gagne d’emblée le titre devant l’italien Fabrizio Pirovano et le belge Stéphane Mertens.

Le Britannique Carl Fogarty, qui participa en 1990, 1992 et 1993 à la catégorie 500 cm3 sans exploit notable, fut en revanche un ténor de la catégorie Superbike avec quatre titres de champion du monde en 1994, 1995 puis 1998 et 1999.

Sylvain Guintoli, pilote français de MotoGP pour YAMAHA en 2007 et DUCATI en 2008, remportera le titre WSBK 2014 au guidon d’une APRILIA.

L’américain Doug Pollen, pilote 500cm3 en 1989 avec SUZUKI, deviendra double champion WSBK en 1991 et 1992.

Son compatriote John Kocinski, après six années en 500cm3 où il terminera trois fois troisième, devient champion du monde WSBK en 1997 sur une HONDA.

Max Biaggi, Carlos Checa et Álvaro Bautista, nés sur l’autel des grands prix avec de belles carrières, remporteront également tous trois leurs titres de gloire en WSBK les années suivantes.

Cette longue litanie, si elle ne semble pas dire grand-chose, révèle cependant et statistiquement de façon irréfutable que si le succès d’un bon pilote issu des grands prix est quasi assuré en WSBK, la réciproque n’est pas évidente. Pour preuves :

  • L’australien Troy Corser fut double champion du monde de la catégorie en 1996 sur DUCATI puis en 2005 sur SUZUKI. Il a réalisé une immersion en GP en 1997 hélas infructueuse.
  • Colin Edwards, surnommé la tornade texane, fut couronné par deux fois en WSBK (2000 et 2002) puis migrera en MotoGP où, malgré son talent et une indéniable compétitivité, il ne gagnera jamais la moindre course.
  • L’anglais Neil Hogdson, champion WSBK 2003, tentera l’aventure en MotoGP l’année suivante au sein du team DUCATI D’ANTIN mais sans succès.
  • Troy Bayliss, autre légende australienne, deviendra triple couronné de la catégorie en 2001, 2006 et 2008. Il tentera sa chance en catégorie reine de 2003 à 2005. Si ce n‘est en 2003 où il terminera honorablement sixième, les deux années suivantes le relègueront dans l’anonymat. Seule exception à cette époque peu faste pour Troy : Il deviendra le héros d’un jour lors de la dernière manche MotoGP à Valencia en novembre 2006 où il écrasa la concurrence et remporta son unique victoire de la catégorie. Ce fut également pour lui l’occasion de régler ses comptes avec son employeur DUCATI qui l’avait embauché pour réaliser cette pige en l’absence du titulaire blessé Sete Gibernau. En effet, Troy s’était fait écarter du team officiel MotoGP par DUCATI fin 2004 pour insuffisance de résultats. En acceptant malgré tout de réaliser cette course, il leur adressa un formidable pied de nez et une revanche sur le destin.
  • James Toseland, double vainqueur en 2004 et 2007, ne fera pas vraiment d’étincelles au sein du team Yamaha Tech3 en MotoGP les deux années suivantes.
  • Seul Ben Spies, pur produit américain triple victorieux en AMA Superbike, fera ses premiers pas en MotoGP comme wildcard sur trois courses. Ne pouvant être titulaire l’année d’après, il jouera en 2009 ses gammes au sein de la catégorie WSBK où il remportera le titre d’emblée. YAMAHA lui ouvre alors les portes de la catégorie reine où il s’illustrera pendant 2 ans, finissant 6è puis 5è du championnat.

Qu’est-ce que cela prouve me direz-vous ? Tout d’abord que la conception même des motos influe beaucoup sur les performances : Des sports prototypes extrêmement rigides réclament des techniques de pilotage différentes de machines issues de la série, aux cadres plus souples donc plus aisément maîtrisables. Cela explique essentiellement les difficultés que des pilotes issus du Superbike rencontrent lorsqu’ils arrivent en Grand Prix, où ils doivent reformater leur style pour s’adapter, et dans un temps record sous peine de passer à la trappe !

Toprak lui-même n’a pas démenti ce fait lors de ses premiers tours de roue avec la M1. Sa seule différence ? Son aisance naturelle et sa grande faculté d’adaptation qui devraient lui permettre d’aller, contre toute évidence statistique, performer dans un univers dont il n’est pas issu, pour peu qu’on veuille bien lui en laisser le temps !

Alors, Toprak Razgatlioğlu en MotoGP, une chimère ?

D’aucuns s’évertuent à le penser, à commencer par son compatriote et manager Kenan Sofuoğlu, pour qui la catégorie reine est impitoyable et bien loin des standards de la famille du Superbike. Rappelons qu’il a été lui-même quintuple titré en 600 Supersport et qu’il s’est « cassé les dents » en Grands Prix dans la catégorie intermédiaire Moto2. Fatalement, cela n’incite pas à l’optimisme…

Toprak, bien que pétri de talents, devra briller vite s’il veut réussir ou son passage sera alors éclair et certainement sans lendemain.

Ne devrait-il pas faire comme Jonathan Rea et empiler les titres en Superbike ? Il a l’âge et les armes pour.

D’ailleurs, si l’on se souvient bien, JR lui-même n’aurait pas dépareillé en MotoGP. Il y fit deux piges en 2012 en remplacement de Casey Stoner aux grands prix de Saint Marin et d’Aragón avec une huitième et une septième position. Pas ridicule… mais pas suffisant pour marquer les esprits ! Aucune proposition réellement valable ne lui sera faite pour espérer y faire carrière. Et pourtant quel dommage. On ne devient pas sextuple champion du monde de rang par hasard.

Les courses en SBK sont désormais sublimes avec les trois extra-terrestres Rea, Razgatlioğlu et Bautista. De plus, les formats Sprint sont à l’œuvre depuis 2019 et repris cette année en MotoGP.

Il serait temps que des transfuges de talents s’opèrent à nouveau et qu’ils fassent mentir les statistiques. Ca, non, le WSBK n’est pas un championnat au rabais. Et que l’histoire serait belle pour un pilote comme Toprak Razgatlioğlu de marquer l’histoire de ce sport en brillant dans les deux catégories.

 

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