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Mise en danger, hypocrisie, silence… L’indécente attitude des instances des Grands Prix moto pendant et après l’accident de Jorge Navarro en Australie pose de nombreuses questions. Le pilote espagnol a déclaré avoir craint pour sa vie alors qu’il avait le fémur brisé et que la course a continué pendant plusieurs tours en le frôlant. Les accidents tragiques dus à des collisions, qui ont toujours endeuillé le sport moto et notamment ces derniers temps, devraient pourtant faire réfléchir…

Tous affichent l’air sombre, tête baissée, mine affligée, lorsqu’il s’agit de rendre hommage à un pilote qui n’a pas survécu à ses blessures à la suite d’un accident en piste. C’est arrivé trop souvent ces derniers temps, en particulier à de jeunes pilotes évoluant dans la galaxie de la vitesse gérée par Dorna, organisateur des Grands Prix moto. Le dernier en date, Victor Steeman, avait 22 ans lorsqu’il s’est fait faucher le 11 octobre en pleine lutte pour le titre mondial Supersport 300 (catégorie déjà meurtrie par la disparition dans les mêmes circonstances de Dean Berta Vinales, 15 ans, un an auparavant). Inévitable fatalité des sports mécaniques et de la moto en particulier, lorsqu’un pilote se fait percuter par un concurrent qui ne peut l’éviter. C’est le scénario redouté par tous les pilotes de vitesse. Les fans français de sport moto se souviennent douloureusement des collisions à l’origine de la série noire du début des années 80 qui a enlevé à la France ses plus grands talents de l’époque. Plus de 40 ans après, on pleure encore Patrick Pons, percuté à haute vitesse un sombre dimanche d’août 1980 à Silverstone par son compatriote Michel Rougerie, lui-même percuté mortellement par un autre Français, Roger Sibille, lors du Grand Prix de Yougoslavie 1981.

C’est un scénario similaire qui avait déclenché un cataclysme mondial vingt ans plus tard, lorsqu’une étoile montante de la catégorie-reine, Marco Simoncelli, avait perdu la vie sur le circuit de Sepang (Malaisie) en 2011, tombé sous les roues de son ami Valentino Rossi, qui n’a pu l’éviter malgré son expérience de la course. L’année précédente, les mêmes circonstances avaient emporté le Japonais Shoya Tomizawa lors du Grand Prix de Saint-Marin en Moto2. Le pilote japonais avait 19 ans, comme le pilote suisse Jason Dupasquier lorsqu’il s’est fait percuter au sol lors du Grand Prix d’Italie Moto3 le 30 mai 2021, pour ne jamais s’en relever. Deux mois plus tard, c’est le jeune Hugo Millan, 14 ans, qui succombait sur le circuit d’Aragon en European Talent Cup (formule de détection des jeunes talents mise en place par Dorna) après que la machine d’un autre pilote n’ait pu l’éviter. La version asiatique de la Talent Cup, l’Asia Talent Cup, avait déjà été endeuillée en 2019 par la chute fatale du jeune Afridza Munandar (20 ans) au milieu d’un paquet de pilotes sur le circuit de Sepang.

Ces accidents dramatiques, qui se sont accumulés de façon insupportable ces derniers temps, ont en commun le type d’accident qu’il faut éviter à tout prix : la collision. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Dorna sanctionne aussi durement – et justement – les pilotes qui ralentissent durant une séance d’essais pour « prendre une roue ». C’est aussi pour cela que face aux inquiétudes nées des accidents tragiques survenus à de jeunes pilotes, parfois mineurs, dans les catégories d’accès aux Grands Prix, les instances dirigeantes ont pris la sage décision de relever l’âge d’accession aux Grands Prix à 18 ans. Ceci afin de fixer une limite à l’impatience des jeunes loups, dans l’espoir de diminuer la prise de risques de pilotes manquant fatalement d’expérience dans des courses qui voient souvent plus de 35 pilotes sur la grille de départ, quand le MotoGP en compte dix de moins. Car les énormes progrès accomplis en termes de sécurité par les équipementiers, notamment l’airbag intégré aux combinaisons des pilotes et rendu obligatoire, sont louables mais ils ne suffisent pas à protéger les pilotes des impacts avec des engins lancés à pleine vitesse.

Tout cela rend d’autant plus incompréhensible et insupportable la scène à laquelle ont pu assister ceux qui se sont levés en pleine nuit pour visionner le Grand Prix Moto2 d’Australie. Comment comprendre, comment accepter la mise en danger de la vie de Jorge Navarro et des commissaires venus secourir le pilote espagnol, tombé puis percuté par Simone Corsi au 4e tour du Grand Prix d’Australie Moto2 ? Pourquoi le drapeau rouge n’a-t-il pas été agité immédiatement ? Pourquoi Navarro n’a-t-il pas été évacué rapidement dans des conditions de sécurité optimales ? Pourquoi les pilotes ont-ils été autorisés à continuer la course alors que l’un d’entre eux était au sol, à moins de deux mètres de l’intérieur du virage, fémur brisé, casque retiré ? Pourquoi a-t-on exposé des commissaires de piste à un tel danger ? Pourquoi n’y a-t-il eu aucun commentaire officiel à la suite de cette scène indécente ?

« On n’a pas compris pourquoi ils n’ont pas mis de drapeau rouge » a répondu le journaliste français Michel Turco – sur place en Australie – à la question de Margaux Levanto, chroniqueuse de l’émission de débrief After Sunday scandalisée par cette situation. Dans cette même émission, André Cazeneuve de Paddock-GP a vu dans cette absence de décision la volonté des instances dirigeantes de ne pas provoquer un retard dans la retransmission du programme-phare, le MotoGP, programmé juste après la course Moto2 et qu’un drapeau rouge aurait immanquablement perturbé. Si tel est le cas, il est purement intolérable que la vie d’un pilote de Moto2 cloué au sol à cause d’un fémur fracturé, ait été remise en l’espace de deux tours entre les mains de ses 25 adversaires toujours lancés à fond dans leur course et le frôlant à deux mètres, simplement alertés par un drapeau jaune… Et que dire des commissaires qui l’ont courageusement secouru, eux aussi têtes nues et menacés par des motos évoluant à pleine vitesse ?

« Des images inacceptables révélant une situation intolérable que l’on veut nous faire oublier » écrit Oléna Champlain sur le site Paddock-GP. Parce qu’effectivement, le silence est assourdissant venant d’un paddock qui pourtant sait se faire entendre lorsqu’il s’agit de sanctions sportives pour des broutilles. Remis de son opération et de ses émotions, Jorge Navarro n’a pas mâché ses mots pour décrire les instants terribles qu’il a vécus au bord de la piste, alors qu’il ne pouvait se mouvoir en raison de sa jambe brisée : « Bonjour à tous, j’ai voulu faire cette vidéo pour dire que je vais bien, que ma condition physique s’améliore chaque jour, mais j’ai aussi voulu vous faire savoir ce que j’ai vécu dimanche. Sans aucun doute, c’était le moment le plus effrayant de ma carrière et de ma vie. Être si près de la piste avec les motos qui passent avec ma jambe cassée en deux… Cela ne devrait jamais arriver à personne. Merci à Simone Corsi et au commissaire qui est resté à mes côtés. Et aussi un grand merci au personnel médical du circuit et à l’Alfred Hospital, qui ont pris grand soin de moi. » Si les instances dirigeantes sont muettes, quelques rares pilotes osent donner leur point de vue sur l’accident, comme Marcos Ramirez, compatriote et adversaire de Navarro en Moto2 : « Je ne comprends pas. Un pilote à un mètre de la piste pendant trois tours après qu’une autre moto l’ait touché, dans un endroit dangereux… Que doit-il se passer pour qu’on ait un drapeau rouge ? »

Le journaliste britannique Mat Oxley a également soulevé le problème de l’évacuation de Navarro, retardée pour les besoins de la course, alors que chaque minute comptait pour une blessure de ce type. « Gardez Jorge Navarro dans vos pensées aujourd’hui. Il s’est cassé le fémur dans la course Moto2 de dimanche et saignait abondamment. Il est possible que son artère fémorale ait été sectionnée, ce qui peut entraîner la mort en quelques minutes si ce n’est pas stoppé. Il est en convalescence à l’hôpital. Encore un autre accident de type  » percuté par le pilote de derrière ». Signe de l’exaspération ambiante, le site Fox Sports relaie la colère des fans de vitesse moto à la vue d’un Jorge Navarro laissé « sans défense dans une scène effrayante ». Simon Patterson, autre journaliste anglais scandalisé par l’absence de réaction de la direction de course, croit avoir une explication après avoir revisionné les images : « En regardant l’incident, je me trompe peut-être mais il semble qu’un des commissaires signale que sa radio ne fonctionne pas et qu’un autre demande l’arrêt de la course »… L’explication serait donc peut-être à chercher du côté de l’amateurisme de l’organisation… Ce qui rend indécent de telles carences dans un sport générant d’importantes recettes, et n’explique pas le silence qui règne actuellement au cœur de l’étouffant paddock du MotoGP…

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