14 juin 1969, Jacky Ickx, un des favoris de la 37ème
édition des 24 Heures du Mans, refuse de courir vers sa Ford GT40
lors de la célèbre procédure de départ en épi, mise en place en
1925 pour des raisons complètement obsolètes 44 ans plus tard. Au
contraire, celle-ci est jugée très dangereuse par le jeune pilote
belge de 24 ans, car elle incite maintenant à courir et s’élancer
sans attacher son harnais afin de ne pas perdre la moindre
seconde.
Il a raison !
Son compatriote Willy Mairesse en a payé le
prix fort lors de l’édition précédente, et John
Woolfe en paiera le prix ultime quelques minutes plus tard
au volant de sa Porsche 917.
Au plus fort de la guerre qui oppose alors Ford et Porsche,
Jacky Ickx décide donc de capter l’attention des
caméras en refusant de courir et en prenant tout son temps pour
bien s’attacher avant de lancer sa GT40 aux couleurs Gulf à
l’assaut des mythiques 24 heures…
Il a raison !
De toute façon, les essais l’ont montré, sa « vieille » Ford
GT40 qu’il partage avec Jackie Oliver est dépassée
en performance pure par la nouvelle Porsche 917 de l’équipage
Elford-Attwood qui caracole tout de suite en tête,
ainsi que par les nombreuses Porsche 908, dont deux exemplaires
complètent alors rapidement le podium virtuel.
Mais l’endurance reste l’endurance, et tout cette armada germanique
est contraint à l’abandon quelques heures avant le drapeau à
damier. La Ford GT40 bleue ciel et orange se retrouve propulsée en
tête de la course à trois heures de l’arrivée, mais Porsche ordonne
à la 908 de Larrousse-Herrmann, qui ne concède
qu’un tour de retard, d’augmenter son rythme.
La Porsche est plus rapide en ligne droite, la Ford la contient
dans les parties sinueuses. La jonction se fait à une heure de
l’arrivée, et les voitures échangeront le commandement 8 fois dans
le dernier relais ! Le suspens est fou ! Dans le dernier
tour, Jacky Ickx se laisse volontairement doubler
au début de la célèbre ligne droite des Hunaudières…
Il a raison !
Il sait qu’il pourra redoubler Hans Hermann à l’aspiration à la fin de celle-ci, puis conserver son avantage jusqu’à la ligne d’arrivée. Il franchit en effet celle-ci avec 120 mètres d’avance, après avoir sans doute écrit la plus belle page de l’histoire des 24 Heures du Mans !
L’année suivante, le départ se fera toujours en épi, mais
pilotes à bord, dûment sanglés…
Il avait raison !
57 ans plus tard, Johann Zarco n’a pas vraiment choisi de partir en queue de peloton, quoi que…
Retour sur un Grand Prix MotoGP d’anthologie.
Samedi matin, alors que le soleil brille dans le ciel manceau avant le Sprint, un officiel de la FIM nous confie, « tu sais, on a changé le règlement pour qu’il soit plus clair pour les pilotes, mais cela pourra quand même être le chaos, si les pilotes décident tous de rentrer en pit lane. Deux Long Laps, ce n’est pas grand-chose comparé à un Ride Through, et cela va les inciter à changer au dernier moment. Et s’ils sont plus de 10, on repart pour une nouvelle procédure de départ ».
Naïvement, nous répondons « mais là, vous ne craigniez
rien, il fait beau ! ».
« Tu verras demain… »
Effectivement, on a vu.
On a vu la pluie pointer le bout de son nez durant le tour de
chauffe.
On a vu tous les pilotes, Johann Zarco en tête,
rentrer dans la pit lane pour prendre leur moto équipée de pneus
pluie.
On a vu la Direction de course arrêter la procédure de départ au
drapeau rouge, plus de 10 pilotes étant rentrés dans la pit
lane.
On a vu la Direction de course lancer un procédure de départ rapide
pour une course réduite à 26 tours.
On a vu tous les pilotes repartir en pneus pluie pour un nouveau
tour de reconnaissance.
On a vu la pluie s’arrêter et 13 pilotes rentrer en pit lane pour
reprendre leur moto équipée de slicks, quitte à devoir faire 2 long
laps durant la course.
On a vu Francesco Bagnaia, Marco Bezzecchi, Jack Miller,
Johann Zarco, Alex Rins, Luca Marini, Miguel Oliveira, Lorenzo
Savadori et Takaaki Nakagami rester fidèles à leur choix
de pneus pluie et s’aligner sur la grille.
On a vu tous les pilotes reprendre leur place sur celle-ci mais
séparés en deux catégories ; ceux qui avaient fait le pari des
pneus pluie, ceux qui avaient misé sur l’opposé, avec un handicap
de deux long laps à la clef.
On a vu la pluie revenir dès le nouveau tour de chauffe et les
drapeaux blancs à croix rouge s’agiter.
On a vu le départ, avec un Johann Zarco (et de
rares autres) ne pas avoir enclenché leurs start devices, afin de
faciliter le transfert de charge et être certains de pouvoir
débloquer l’avant au premier freinage.
On a vu le contact de Pedro Acosta sur
Jack Miller, mais surtout on a vu un Enea
Bastianini bien trop optimiste venant percuter
Francesco Bagnaia sur les vibreurs de la chicane
Dunlop.
On a vu Joan Mir relever sa Honda pour ne pas
accrocher la Ducati rouge au sol et, du coup, se voir heurté
violemment par la machine de Johann Zarco qui le
dépassait.
On a vu, par un vrai miracle, celui-ci ne pas tomber et franchir le
bac à graviers avant de reprendre la piste en toute fin de peloton.
Cela ne vous rappelle rien ?
La suite, on la connaît, avec tous les pilotes en pneus slicks chutant ou devant rentrer en pit lane pour changer de motos, pour la troisième fois.
17ème au premier tour, Johann Zarco s’est
retrouvé en tête au huitième, avec d’abord Miguel
Oliveira, auteur du même pari, dans sa roue. Après avoir
rétrogradé, le pilote portugais est parti à la faute au 19e
tour.
Marc Marquez et Alex Marquez ont
pris le relais, à la poursuite du Français. Marc
Marquez n’a mis que deux tours à comprendre que ce
jour-là, « Jojo » était en état de grâce, absolument irrattrapable.
Il l’a avoué après la course, avec l’élégance des seigneurs.
Alex, lui, est parti à la faute au 20e tour.
Mais avant même la mi-course, les jeux étaient faits :
Johann Zarco était le plus fort et avait toutes
les cartes en main pour remporter « son » Grand Prix
national !
Encore fallait-il faire 17 tours sans la moindre faute, sur un
asphalte dont les pièges avaient occasionné plus de 200 chutes
quelques jours plus tôt lors des 24 Heures Motos…
Porté par des tribunes un instant abasourdies par la chute de Fabio Quartararo au 4e tour, Monsieur Johann Zarco n’a pas failli. Mais dieu que ces minutes ont paru longues aux 120 000 spectateurs présents ce dimanche historique, ainsi qu’à Lucio Cecchinello au bord de l’apoplexie en voyant le rythme de son pilote s’accélérer au lieu de ralentir, à Claude Michy l’organisateur de cet événement aux superlatifs, ou aux équipes de Canal+ qui avaient justement choisi de diffuser cette course en clair !
Il y a des jours comme ce dimanche 11 mai 2025 où toutes les planètes sont alignées, y compris la présence de la maman du vétéran des Grands Prix, pour la première fois en 17 ans. Ils sont rares, très rares, exceptionnels, et c’est pour cela qu’ils écrivent l’histoire, marquant de leur empreinte la mémoire de générations qui s’en souviendront encore dans plusieurs décennies.
Comme pour certains le 15 juin 1969…
Johann Zarco, le LCR Honda Castrol et le public du Grand Prix de France Michelin n’oublieront jamais cette journée. Pour la première fois depuis 1954, il y a 71 ans, un pilote français de MotoGP s’impose sur ses terres, avec près de 20 secondes d’avance sur l’octuple champion Marc Marquez.
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