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C’est dans un contexte particulièrement lourd, et bien évidemment au téléphone, que nous avons recueilli les propos d’Hervé Poncharal sur la crise que traverse actuellement l’humanité tout entière, et donc forcément le petit monde du MotoGP…


Hervé Poncharal, on ne va pas vous demander quand aura lieu la prochaine course…

Hervé Poncharal : « non, car la seule chose que je peux dire, et c’est seulement du bon sens, c’est qu’il y a énormément de pays qui sont en confinement. On sait que celui-ci va durer plus longtemps que ce qu’il a été initialement organisé et que certains circuits, comme Jerez, Austin et Sepang, sont fermés. Donc pour moi, même si aujourd’hui on n’a absolument rien de décidé, il est clair que ce serait plus qu’un miracle si les courses prévues au mois de mai avaient lieu. Même si le calendrier prévoit toujours Jerez, le Mans et Mugello au mois de mai, je pense que ça semble aujourd’hui très compliqué d’imaginer qu’il puisse être respecté. À moins d’un miracle, mais j’y crois peu, on ne peut pas imaginer que le calendrier puisse débuter par les premières courses à Jerez, au Mans et au Mugello. C’est du simple bon sens mais le seul qui peut se positionner et faire une déclaration en annonçant un nouveau calendrier ou en confortant l’actuel, c’est bien entendu Carmelo Ezpeleta. Loin de moi l’idée de parler en son nom car c’est lui, c’est le patron qui a cette responsabilité de gérer le calendrier. Mais sans outrepasser ma position, je pense que la plupart des observateurs, en voyant comment la situation évolue ainsi que l’Italie qui a 12 jours d’avance sur nous et qui n’a pas encore atteint le pic, constatent que ça semble vraiment compliqué, voire pas loin d’être utopique de penser à des courses au mois de mai. »

Au fur et à mesure que la pandémie se propage, on a évidemment avant tout une forte pensée pour toutes les personnes touchées dans leur corps, mais aussi, pour en revenir à notre sport, pour les pilotes qui tournent en rond en cage, et, plus grave, pour toutes les équipes, derrière lesquelles se trouvent des organisations humaines, techniques et financières…

« Avant de commencer à parler de quoi que ce soit, soyons clairs que tous les petits ou gros problèmes du petit monde du MotoGP ne sont qu’un épiphénomène et des anecdotes par rapport à la réalité de la situation de beaucoup de personnes sur la planète. Il y a des gens qui meurent tous les jours, et un pays aussi proche et ami que l’Italie qui compte déjà plusieurs milliers de morts, voit ses services sanitaires débordés et certains médecins qui sont obligés de faire des choix entre leurs patients : ça, c’est horrible et ça passe avant tout, parce qu’il n’y a rien de pire que les « happy few » se regardent le nombril et se croient les plus malheureux du monde. Maintenant, sans oublier cela, c’est vrai qu’on parle ici de MotoGP puisque Marc Sériau est un fan de MotoGP et Hervé Poncharal est un fan de MotoGP et a une société qui fait 100 % de son activité à faire des courses de MotoGP. Mais je voulais faire ce préambule et relativiser nos problèmes. »

« Pour les pilotes, c’est vrai que l’expression des lions en cage ou des fauves en cage leur convient parfaitement bien. Il faut se rendre compte que ce sont des gens qui sont programmés avec des entraîneurs physiques, avec des coachs mentaux et une organisation quasiment millimétrée par rapport à un calendrier qui est sorti depuis grosso modo le mois de septembre 2019. Donc tout était préparé par rapport à cette date du Qatar ! On sait très bien qu’il y a moyen de se préparer pour être en condition optimum à une date précise. Rien n’était envisagé comme pouvant interférer dans ce calendrier, jusqu’à quelques jours du Grand Prix, donc il est évident que tout le monde est complètement désemparé. Les pilotes, c’est le plus évident car ce sont quand même eux nos héros et les acteurs principaux. Aujourd’hui, tout pilote de MotoGP est un athlète de très haut niveau et un sportif complètement accompli et global. Je parle aussi du côté mental. Mais on est tous un peu pareil, les pilotes peut-être un peu plus que nous, car ce sont eux qui montent sur la moto, mais on a tous cette préparation par rapport à un calendrier, que ce soit mon équipe de 40 personnes, les ingénieurs dans les usines et tous les gens qui, de près ou de loin, se focalisaient sur cette date. C’est donc une situation totalement nouvelle qu’on peut considérer comme unique dans l’histoire de l’humanité moderne, mais également dans l’histoire du sport en général et du MotoGP en ce qui nous concerne. On aime bien avoir des certitudes et on aime bien avoir des repères, comme le calendrier et sa succession d’activités, comme se préparer, faire son sac, voyager, organiser des débriefing techniques avant et après la course, étudier le circuit suivant par rapport à toutes les données et aux vidéos, etc. Donc on aime être préparé et organisé, et aujourd’hui on a des fauves en cage, et désœuvrés, car on a rien à quoi se raccrocher de fixe et de concret, surtout au niveau des dates. Aujourd’hui, bien malin qui peut dire quand commencera championnat, car pour cela, il faudra que le virus soit en très forte régression, ce qui n’est évidemment pas le cas aujourd’hui, mais cela ne sera pas suffisant si l’on observe l’exemple de la Chine où le virus est en très forte régression mais où tout n’est pas reparti, loin de là. A partir de quand les pouvoirs publics vont-ils autoriser des rassemblements de 100 000 personnes sur un site ? Tout ça, on ne le maîtrise pas, et, pour en revenir à nous, on est complètement abasourdis. »

«En ce qui concerne l’équipe Tech3, on a à peu près 40 personnes qui travaillent pour la compétition, c’est-à-dire MotoGP, Moto3, MotoE et toutes les structures de réception et de communication. »

 

 

 

« Il faut bien se rendre compte que l’organisation économique d’une société qui fait de la course comporte trois rentrées financières, divisées grosso modo à parts égales entre les sponsors, les courses et le support de base qu’on reçoit du promoteur en tant qu’équipe MotoGP. »

« Mais bien évidemment, il y a beaucoup de sponsors et de partenaires qui sont aussi très violemment impactés de plein fouet par la crise qui fait suite au confinement, et il est évident que certains de nos sponsors, qui sont des sociétés qui vont être en situation financière délicate, vont demander de réétudier et rediscuter les contrats, voire les annuler. Car il faut bien se rendre compte qu’il va y avoir des sociétés qui vont être dans des difficultés financières énormes ! Et quand tu en es au point où l’avenir et la vie de ta société est en jeu, les dépenses de communication, de marketing et de publicités sont les premières choses que tu coupes. Et nous, on en fait partie, donc on est quand même très à l’écoute et inquiets. Si on n’était pas inquiets, on ne serait pas réalistes car même s’il y a des contrats signés, il sera difficile de tout honorer, et on le comprend très bien. Ce n’est pas du tout qu’on se fait entourlouper, c’est qu’à un moment donné, tout le monde souffre, et il faut le comprendre. »

« La deuxième chose, ce sont les courses. Aujourd’hui, il n’y a pas de courses, donc pas de spectateurs , pas de télévisions qui filment, donc pas de rentrée d’argent. Le promoteur du championnat, Dorna Sports, qui est une société qui est tout sauf une société intéressée que par le profit, est en train de travailler avec nous, l’IRTA qui représente les équipes, pour essayer de réfléchir à ce qui peut être fait pour qu’il y ait un minimum garanti pour qu’on puisse survivre en ces temps difficiles. Tout les budgets de toutes les équipes, et de la Dorna aussi car ils sont également en train d’être très violemment impactés, j’ai 40 personnes, la Dorna en a 400, mes problèmes, la Dorna les a mais multiplié par 10, donc tous les budgets étaient calculés par rapport aux contrats que l’on avait avec les sponsors, par rapport à 20 courses. Mais on n’aura pas 20 courses ! Aujourd’hui, même si on peut compter sur Carmelo Ezpeleta pour faire le plus de courses possibles, on est tributaire des autorités et des circuits : quand les manifestations sportives seront-elles autorisées ? Car on a déjà parlé des courses à huis clos et je pense que ce n’est pas une option envisageable. Si tu prends par exemple l’organisateur du Grand Prix de France, qui s’appelle Monsieur Claude Michy, qui est un super entrepreneur pour qui j’ai énormément de respect, son schéma est que la billetterie lui permet de payer le circuit et de payer le promoteur qui rétrocède une partie de ce qu’il reçoit aux équipes. À huis clos, il n’y a pas de billetterie, donc ça ne génère aucun chiffre d’affaires et cela ne permet pas de payer le plateau, c’est-à-dire le circuit, les pilotes, les teams, le promoteur avec ses 400 personnes et toutes ses installations dont les caméras de télévision, etc. Pour moi, il est donc très très compliqué d’envisager de faire des courses à huis clos et la situation est très compliquée. »

« En France, on a toujours tendance à ne pas vouloir parler d’argent car ça choque, et la priorité de l’empathie va bien évidemment aux gens qui sont malades, c’est évident, mais il n’en reste pas moins qu’il y aura des conséquences économiques : on ne peut pas arrêter et confiner la quasi-totalité du monde, et repartir comme si de rien ne s’était passé après 30 ou 45 jours. À la fin du confinement, je ne pense pas qu’on pourra tout de suite rebondir et organiser des courses comme avant. Ce sont des choses qu’on ne sait pas, mais au terme du confinement, il y aura encore beaucoup de choses qui seront sous le microscope des autorités pour regarder comment elles se passent. Cela va aller crescendo, mais jusqu’à quand ? Juin, juillet, août ? Je suis incapable de le dire ! »

Pour continuer sur le plan financier, les équipes Moto3 et Moto2 sont-elles plus fragiles que les équipes MotoGP ?

« Il n’y a qu’un championnat, c’est le championnat MotoGP ! Avec trois classes. Il est évident que la classe reine, qui génère le plus de suivi et d’intérêt, c’est la classe MotoGP, et c’est aussi la classe où les investissements sont aussi de très très loin les plus chers, car ce sont des prototypes. Cela coûte autour de 5 millions d’euros juste de location de matériel à l’année, sans parler du personnel plus nombreux, alors que les budgets des équipes Moto2 et Moto3 sont beaucoup plus petits. Mais il n’y a qu’un championnat, et qui décerne trois titres de champions du monde, donc il est clair que la réflexion que l’on est en train de mener en ce moment avec Carmelo Ezpeleta est d’aider tout le monde : les trois catégories ! »

Avez-vous commencé à évaluer combien, au minimum, de Grands Prix devraient avoir lieu, non pas pour que le championnat soit reconnu par la FIM car cela doit pouvoir s’arranger, mais pour que personne ne mette la clé sous la porte ?

« Aujourd’hui, la situation est totalement extraordinaire et il faut s’adapter. Je pense qu’aujourd’hui le fait de dire qu’il faut un nombre X de courses pour pouvoir décerner le titre est complètement idiot. La volonté de tout le monde, de la FIM et de son président Monsieur Viegas qui est très à l’écoute, la volonté des constructeurs qui sont excessivement impliqués à cause des répercussions marketing très importantes, la volonté des équipes comme on vient d’en parler, et bien évidemment celle de la Dorna, donc tout le monde fera le maximum de courses possibles par rapport au contexte sanitaire. On fera le maximum en sachant que l’année s’arrête le 31 décembre et qu’en hiver on ne peut pas faire de course sur certains circuits. Ayant dit ça, je pense qu’aujourd’hui, si vous me disiez qu’il y aura 10 Grands Prix d’ici la fin de la saison 2020, je vous dirais que c’est déjà pas mal. Alors si on peut en avoir 12 ou 15, ce sera fantastique, mais je me pose quand même beaucoup de questions car on est quand même dans un brouillard très, très épais aujourd’hui quant à savoir à quel moment les clignotants seront verts pour que l’on puisse recommencer à courir. Personne ne peut le savoir ! Donc, si on commence début juin, ce n’est pas mal, et là on pourrait peut-être en faire 15, mais par contre si on commence en juillet ou en août, il va falloir trouver les solutions et voir ce qui va en ressortir… Mais une chose est claire pour moi, c’est que les 19 courses restantes, on ne pourra pas les faire ! Ou alors, ce seront des magiciens et je suis un petit joueur. »

Quelle est la question qu’on ne vous a pas posée et à laquelle vous aimeriez répondre ?

« Cette question, c’est peut-être « est-ce que cette période totalement inédite va permettre au monde du MotoGP et à Hervé Poncharal d’être changés quand les choses vont repartir ? » L’humanité en général et le monde du MotoGP en particulier n’a jamais le temps de se poser, jamais. On n’a pas le temps de réfléchir car dès qu’on se pose, on se prépare à repartir. On a l’esprit en permanence parcouru de 10 000 problèmes et de choses à résoudre ou à organiser. Pour moi, il est important d’avoir cette opportunité de réfléchir au sens qu’on veut donner à sa vie et au relationnel qu’on veut donner aux gens qui vous entourent, comme à son équipe en MotoGP. Tout ce qu’on est en train de vivre, c’est dû à une certaine forme d’organisation que l’humanité a mise en place, et on en fait partie. J’aime bien penser que de tout problème peut surgir des choses positives, et ce confinement forcé est aussi l’occasion de pouvoir penser, réfléchir, et se poser les vraies questions. Je pense que c’est quelque chose qui à terme sera salutaire pour tout le monde. Pour en revenir au MotoGP, c’est quelque chose qui fonctionne plutôt bien, donc je ne pense pas qu’on sera complètement différent quand on va repartir: quoi qu’il arrive, il faut de bonne moto, de bons pilotes, de bonnes équipes et un bon promoteur. Ou vous acceptez cette vie liée à la compétition, avec les voyages, les déplacements et la mondialisation, ou vous faites un autre métier. Mais c’est pas mal d’avoir des petites parenthèses, même si on aurait évidemment préféré ne pas avoir celle-ci qui est dramatique d’un point de vue sanitaire. En temps normal, je ne me serais jamais permis de suggérer aux jeunes de mon équipe de lire tel livre ou de regarder telle émission sur les problèmes actuels de notre monde. Là, je le fais, car je les considère un peu comme mes grands enfants. »

Le jour d’après ne sera donc pas comme le jour d’avant…

« J’en suis intimement persuadé ! Là, on ne pourra pas être comme avant, avec cette énorme chose qui est en train de violemment secouer la planète ! Déjà, il y avait tout un tas de signaux d’alarme, certes moins violents : on les entrapercevait d’un œil mais on ne voulait pas les regarder de face, en se mettant des œillères. Mais là, il n’est pas possible de sortir inchangé psychologiquement et mentalement de cette épreuve ! L’homme s’est toujours cru intouchable et invincible, l’humanité a toujours pensé qu’avec l’intelligence qui est la sienne et la technologie qu’elle acquiert jour après jour, elle serait quelque part au-dessus des lois de la vie. Mais on n’y est pas ! On a beau avoir toute cette technologie et ce savoir incroyable, et chapeau à l’humanité, mais le confinement est une technique moyenâgeuse. Cela nous fait redescendre un peu sur terre, car il y a certaines réalités de la vie qui sont immuables et qui sont dans le bon sens paysan. »
« Il n’y a pas si longtemps que ça, on avait 12 courses dans le championnat, puis 15, puis 17. Maintenant, on en a 20 et on parle de 22. On peut comprendre qu’une société qui est là pour organiser des courses, a envie de dire oui si elle a beaucoup de demandeurs. Un commerçant ne met pas ses clients dehors. Donc même si c’était compliqué sur le plan humain, on était tous à accepter car on le comprenait. Pourquoi on dirait non à l’Indonésie ? Pourquoi on dirait non au Brésil ? Mais aujourd’hui, peut-être qu’on va se demander si c’est vraiment important d’avoir 22 courses. Parce qu’il est clair que plus on grossit, plus on a de courses, plus le timing est millimétré, plus l’organisation est complexe, le moindre petit grain de sable est beaucoup plus impactant qu’avec un timing un peu moins serré. Mettons à profit ce confinement pour réfléchir et, en attendant, que chacun prenne soin de lui. »

 

 

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