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La fin de l’année approche et il est temps de dresser le bilan de la saison MotoGP, ce que nous avons fait au soir de Valence avec Hervé Poncharal, dans son rôle de président de l’IRTA, l’association des teams.

Nous avons passé en revue l’essentiel des nouveautés qui ont marqué 2023, avec l’introduction des courses Sprint, le calendrier peu équilibré, le contrôle de la pression des pneus, l’introduction de l’Inde et bien d’autres sujets encore. Le représentant des équipes nous a ainsi partagé son éclairage mesuré et bâti sur plus de quatre décennies passées dans le paddock…

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L’Inde, une belle surprise ? 
Hervé Poncharal : “Oui, je dirais que 4 ou 5 semaines avant le Grand Prix, on était tous encore dans l’expectative, et il y en avait beaucoup, dont moi, qui étaient dubitatifs sur la possibilité d’y aller. Il y avait beaucoup de bureaucratie, il y avait beaucoup de lourdeur administrative, ça a été compliqué à organiser. On entendait tout un tas de choses sur le circuit et on avait même dit que les pilotes avaient dit qu’ils ne couraient pas s’il n’y avait pas un mur qui était enlevé. Bon. Et puis on est arrivé là-bas, on nous a dit qu’on allait tous mourir de dysenterie, personne n’a été malade, on a tous fait gaffe (rire), et on a vu un pays incroyable, une ville, une ville… plus une mégalopole, hallucinante, mais surtout, on a vu des gens incroyablement passionnés, incroyablement gentils, bien élevés, à l’écoute du moindre de nos désidératas, un circuit magnifique qui a été validé par les pilotes, et finalement une organisation qui a beaucoup progressé entre le jeudi et le dimanche. Et on a eu des courses magnifiques, et je pense qu’on l’a mis sur la rampe de lancement : l’Inde, c’est quand même le pays le plus peuplé de la planète, c’est quand même le plus gros marché de deux-roues de la planète, ils sont pas du tout en train de ralentir, et donc aller là-bas, ça a du sens et c’est fabuleux quoi ! Et le circuit est magnifique : pour tout afficionados qui lit Paddock-GP et qui a envie de se dire “J’irais bien sur un circuit exotique”, celui-là il est à mettre dans les must.” 

Alors malheureusement, cette année a été aussi marquée par une très mauvaise nouvelle au niveau de l’IRTA, avec la perte de Mike Trimby. Comment vous faites face à cela? Qu’est ce qui est en train de se mettre en place?
“ Oui (soupir). Les décès, ce n’est jamais tellement prévisible, à part des longues maladies. Et donc notre ami, un des membres fondateurs de l’IRTA, qui a énormément œuvré pour la professionnalisation des Grands Prix, surtout au départ pour la sécurité des pilotes. C’est pour ça qu’il s’est battu, et pour le confort des équipes qui travaillaient, parce que moi j’étais là quand l’IRTA a été créée en 86, j’étais encore en culottes courtes, j’étais un des premiers membres de l’IRTA, mais Mike Trimby était aux commandes avec Michel Metraux et Serge Rosset, et notre but c’était de professionnaliser le Paddock, notre sport, et surtout de sécuriser le métier de pilote, en zappant certains circuits et en faisant comprendre, notamment à la Fédération Internationale des motos, que si on voulait que ce sport progresse, il fallait avant tout faire que nos héros puissent faire leur métier dans des conditions dignes, notamment de sécurité, et que nos équipes techniques travaillent dans des conditions dignes de vie sur les paddocks qui étaient à l’époque plus des champs en friche que les paddocks qu’on les connaît aujourd’hui. Donc c’est quelqu’un que je fréquentais et avec qui je travaillais, puisque je suis président de l’IRTA quasiment depuis une vingtaine d’années, peut-être même plus, je ne sais plus exactement, enfin depuis un certain temps, et quand tu travailles avec quelqu’un 365 jours par an quasiment, avec qui tu échanges, avec qui du jour au lendemain quasiment on avait fait une réunion de la Grand Prix Commission le vendredi midi à Misano et on avait blagué ensemble, et quand on t’appelle, qu’on vient te chercher dans ta chambre le soir à 23h00 en te disant que Mike Trimby est mort, le choc est incroyable ! C’était le Grand Prix d’Italie au moment où on mettait tout notre fret en caisse pour partir en Inde justement. De toute façon, quand quelqu’un décède, c’est toujours un choc énorme. Ce n’était absolument pas prévu, crise cardiaque. Mike, il avait un rôle clé, il avait une manière de travailler où il gardait beaucoup de choses et il gérait sans systématiquement tout partager et déléguer. Et il a fallu le faire, donc quand tu as la peine et le choc du décès d’une personne proche, et qu’en plus il y a 3000 personnes dans le paddock, c’est quand même une grosse usine, une grosse machine, et quand en plus tu te prépares à envoyer des centaines de tonnes de l’autre côté de la planète, il a fallu parer au plus pressé et on s’est partagé les tâches entre la Dorna, Jeff Dickson, qui était le paddock manager, Daniel Rich qui était le directeur technique, moi qui suis président. On a essayé de contacter les gens puisque la société est basée en Suisse, où il y a toute la comptabilité, parce qu’il faut pas oublier que le paddock, course après course, reçoit des supports financiers et que c’est ça qui le fait avancer, et que si tout est bloqué pour des raisons X ou Y, bah tout s’arrête hein, la machine elle se grippe. 

Et grâce à l’implication de tout le monde, je peux dire qu’entre l’Italie, Misano, l’Inde et le Japon, on faisait des des journées qui étaient plus près de 18 heures que 7 heures. Et je suis assez fier, pas de moi mais de la manière dont le paddock a réagi, de la manière dont les équipes ont compris qu’elles ne pouvaient pas systématiquement avoir le même entre guillemets service pendant un petit moment. Mais en tout cas, on a permis au show de continuer, on a permis à la machine MotoGP d’aller au bout de la saison. Le lundi 4 décembre, la grande majorité du paddock se retrouvera à Londres pour faire une journée qui s’appelle « Celebration of Life”, célébration de la vie, qui est organisée par son épouse Irène Trimby, pour tous se retrouver et faire un dernier adieu à Mike, puisqu’on n’a même pas le temps de lui rendre hommage chez lui, puisqu’on était dans l’avion qui nous emportait en Inde.  

Mais on est en train de se restructurer et je pense qu’on travaille bien, que l’organisation sera encore plus performante. J’en suis certain. Ce que je voudrais dire, c’est qu’il y a beaucoup de gens pour qui c’est toujours bien de tirer sur le patron, mais une des forces du MotoGP bien sûr, c’est le spectacle, c’est les machines que produisent les constructeurs, c’est le niveau incroyable de nos héros qui sont les pilotes, mais c’est aussi la manière dont le championnat est géré, et je pense que le promoteur, le gestionnaire du championnat, la Dorna, ils font un boulot fantastique, que ça soit au niveau du calendrier, ou que ce soit au niveau des accords avec les constructeurs. Là, ils ont réagi pour que le show soit toujours aussi beau, ils viennent de sortir des concessions qui vont permettre encore plus d’avoir un niveau très similaire entre tous les constructeurs, et ils donnent la possibilité aux équipes de travailler dans des vraies conditions. Il y a quelques années, la plupart des équipes, même dans la catégorie reine, les mécaniciens étaient payés avec les primes du pilote, c’était du liquide, c’était du cash, personne n’avait de couverture sociale, personne ne cotisait à rien du tout. Aujourd’hui, chaque équipe, c’est une entreprise qui a la possibilité de travailler dans des conditions normales et chaque salarié est salarié avec toute la couverture sociale que tu te dois d’avoir à ce jour. On a aussi la structure Xiron maintenant qui est là, qui suit tout le monde. Quand on était en Inde, il y avait des problématiques et des soucis, notamment par rapport aux histoires d’intoxication alimentaire, mais on a été briefé par des équipes médicales qui étaient avec nous. Maintenant les pilotes qui se blessent, que ça soit à n’importe quel endroit de la planète, il y a des rapatriements qui sont organisés. Enfin voilà, je pense que la Dorna fait vraiment un boulot incroyable et on a un championnat qui est performant mais où il y a beaucoup d’humanité dans la gestion du paddock, et de tout individu, quel que soit son rang et son rôle. Et je ne veux pas dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, hein ! Encore une fois , il y en a qui vont dire “ouais, il nous vend sa soupe”, mais je n’ai pas de soupe à vendre ! Moi, je dis ce que je pense. Il y en a qui peuvent être en désaccord avec moi, ils ont le droit, et je suis prêt à débattre.” 

Cette année, il y a eu des velléités que les pilotes se regroupent pour porter leur voix un peu plus entre eux, parallèlement à la réunion de la Commission de Sécurité le vendredi. Qu’en pensez-vous ? 
“Déjà, je pense que comme tu viens de le signaler, c’est que c’est un des rares championnats, je sais pas si c’est le seul, où le promoteur, le patron, Carmelo Ezpeleta, tous les vendredis soirs réunit tous les pilotes et leur demande ce qu’ils ont à dire, surtout sur l’épreuve sur laquelle ils sont. C’est à dire le circuit est ce qu’il va, est ce qu’il y a des choses à changer, bac à gravier, les gravier sont trop petits, trop gros, les Airfences sont mal placées , et cetera. Donc ça, déjà, c’est un respect du  promoteur vis-à-vis de ses acteurs. Après, il existe une association des équipes, l’IRTA, il existe une association des constructeurs, MSMA, et ça fait des années que je suis dans le paddock, des décennies, et j’en ai déjà entendu parler, et moi je dis pourquoi pas ? Quelque part, je dis chiche, faites le, et moi je ne vois ça, ni d’un mauvais ni d’un bon œil, mais je vois plutôt ça d’un bon œil. Mais après, il faut savoir quel est le but qu’on veut atteindre, et si on veut le faire, il faut le faire bien. Donc il faut avoir une association, avec des statuts, il faut avoir un porte-parole, il faut avoir un agenda, il faut faire des réunions et amener des sujets de discussion à partager avec le constructeur, avec le promoteur, avec qui sais-je, faire des comptes rendus, etc. Voilà, grosso modo, ça veut dire avoir une organisation pro qui tienne la route si on veut être pris au sérieux et en considération. Donc personne n’est contre, et maintenant la balle est dans le camp des pilotes, de montrer que ce sont des grands garçons qui en sont capables. Mais après, est-ce que le jeu en vaut la chandelle ? Ça, c’est à eux de voir s’ils veulent le faire. Personne ne pourra les en empêcher, personne n’a envie de les empêcher. Maintenant, quand on sait la manière dont le promoteur les traite et les écoute, qu’on sait qu’il existe cette Safety Commission tous les vendredis soirs, c’est à eux de réfléchir. Mais que ça soit Carmelo, moi, la FIM ou la MSMA, personne n’a rien contre. Mais encore une fois, chiche, allez y les gars, faites quelque chose : ça fait des années qu’on en parle, c’est un peu le monstre du Loch Ness, hein, on a du mal à voir la tête qui sort de l’eau, mais voilà, au contraire, ça peut à la limite les responsabiliser et peut-être leur permettre de se rendre plus compte de ce que la Dorna, de ce que l’IRTA, de ce que la MSMA, font, et le travail qu’il y a derrière, qui parfois est pris un petit par dessus la jambe. 

Un pilote, il a besoin de quoi ? En premier lieu, évidemment, il risque sa vie et son intégrité physique. Donc ça c’est évident que c’est la première chose qu’il faut toujours mettre en priorité de de tout préambule de discussion, de quoi que ce soit. 
Je l’ai déjà dit, mais je vais te le redire. 2003, Grand Prix du Japon. Accrochage aux chicanes à la fin du premier tour, Kato va taper dans un mur qu’on savait limite, Kato perd la vie. Choc absolu. Carmelo, je l’ai vu effondré. Et le soir même, il a dit ”on ne reviendra plus jamais à Suzuka tant que le mur sera là. Si on veut revenir, il faut que ce mur, on le repousse”. Il y avait des problématiques  immobilière compliquées parce que ce n’était pas possible d’acquérir le terrain derrière pour reculer le mur. Beaucoup de gens avaient dit à l’époque ”Carmelo craquera sous la pression de Honda, parce Suzuka appartient à Honda, et donc on y retournera”. On n’y est jamais retourné ! 
Juste ce petit exemple pour montrer que Carmelo ne plaisante pas avec la sécurité. Et je me rappelle de l’état où il était à Sepang par rapport au décès de Simoncelli. Donc les pilotes ont un promoteur, et ils le savent, qui ne transigera jamais et qui sera toujours avec eux, qui a investi et pousse tous les ans pour la sécurité, c’est lui qui a mis l’airbag obligatoire pour toutes les catégories, même les Moto3 les Rookies Cup, tout ça c’est airbag obligatoire, c’est lui qui l’a imposé. Régulièrement, les normes de casque évoluent avec la FIM, puisque Jorge Viegas, chapeau aussi à ce niveau-là, Viegas et Ezpeleta, président de la FIM et CEO de la Dorna, ils sont tout le temps en train de pousser les limites de la sécurité sur les équipements. On fait des tests en permanence, en permanence, on a des Airfence qui fonctionnent c’est Carmelo qui les a amenés. Il a été voir une course de ski de descente à Kitzbühel. Il a vu ça, il a dit ”je veux ça sur les Grands Prix”, il y a 20 ans ou 30 ans, je ne sais plus.  

Voilà, donc si les pilotes, ils ont des choses à dire, ils savent qu’ils peuvent aller voir le promoteur. Maintenant, s’ils veulent faire une association, qu’il y a des vrais objets de litiges et qu’ils pensent qu’ils ne sont pas assez écoutés, et cetera, allez-y ! Je ne sais pas très bien à quoi ça peut servir, et ce qui n’est pas aujourd’hui traité, mais s’ils veulent le faire, moi je les encourage et je les aiderai, même s’ils veulent des petits tuyaux par rapport à notre expérience de l’association des équipes.” 

 

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