pub

Après le fort mécontentement exprimé par Yamaha par la voix d’Éric de Seynes, nous avons souhaité recueillir la position de Kawasaki face à une nouvelle réglementation progressivement mise en place par la FIM et les autorités du WorldSBK, qui autorise dorénavant la juxtaposition des 600cc et des Ducati 955cc.

À cet effet, nous avons interrogé Fabien Raulo, coordinateur technique compétition pour Kawasaki Motor Europe, qui a eu la gentillesse de nous confier la position des hommes en vert sur un sujet qui, à tout le moins, va bouleverser la catégorie Supersport 600 dès cette saison 2022…


Fabien, quelle a été votre première réaction que vous avez découvert le brouillon du règlement 2022 qui est sorti fin décembre 2021 ?
Fabien Raulo :  « Pour moi, cela n’a pas été une surprise car nous sommes étions déjà en contact avec la FIM et ils nous avaient déjà annoncé la couleur. Sachant que notre moto n’était de toute façon plus homologuée, on était déjà en discussion avec eux pour connaître le futur de Kawasaki dans cette mid-size catégorie, dans la catégorie Supersport des cylindrées intermédiaires. On a une bonne moto, qui est encore performante, mais qui n’est plus en production sauf pour les personnes qui courent, et il faut qu’on trouve des solutions pour le futur, parce qu’on était tous d’accord que la catégorie devait évoluer : on ne pouvait plus continuer comme ça !
Et nous, en tant que Kawasaki, c’était difficile d’imposer notre vue ou nos positions, sachant que même si on était parmi les plus impliqués on n’a pas de motos (à proprement parler) au catalogue à mettre dans la catégorie. Donc pour revenir à votre question, notre problème c’est qu’on a trouvé ça un peu tardif : on aurait bien aimé que ça sorte plus tôt, pour pouvoir réagir, en parler avec le Japon, la maison-mère, avoir les budgets nécessaires pour éventuellement travailler sur cette nouvelle catégorie et développer la moto puisqu’on sait que les choses vont évoluer. Notamment le ride-by-wire qui va devenir obligatoire à partir de 2023. Nous, on n’en a pas, donc il va falloir qu’on développe la solution pour pouvoir la proposer aux personnes qui voudraient courir avec Kawasaki. »

Nous avons été informés que vous aviez été faire des essais à Jerez afin de voir ce que donnait votre moto une fois mise en conformité avec la réglementation 2022…
« Oui, alors ce n’était pas spécifiquement par rapport à la nouvelle réglementation car de toute façon il fallait que l’on fasse ces essais. Mais effectivement il y avait des points majeurs à tester dans cette nouvelle réglementation, qui ne change d’ailleurs pas beaucoup pour nous puisque la FIM a été claire en énonçant la Yamaha et la Kawasaki comme référents, donc on part sur les mêmes performances. Par contre, il y a l’aspect du poids constant qui a été rajouté. Il a donc fallu estimer sur la piste s’il fallait beaucoup revoir les réglages et voir un peu où on pouvait placer ce poids supplémentaire quand il y en avait besoin. »

Sans trahir de secret, pouvez-vous nous donner une idée de ce que vous avez appris ?
« Bien sûr. Cela a été assez positif côté Puccetti. En fait, je m’attendais à avoir un peu plus de monde et je voulais notamment voir Bahattin Sofuoğlu faire ses débuts sur la 600, puisque c’est un rookie que j’ai beaucoup regardé quand il était en 300. On va dire que c’était un de nos adversaires principaux… Mais malheureusement il a eu la Covid donc c’est Kenan qui a roulé à sa place.
Cela n’a donc pas fait avancer sur le sujet de la capacité de Bahattin dans la nouvelle catégorie, mais par contre il était très intéressant d’avoir Jeffrey Buis qui a déjà fait un petit peu ses armes l’année dernière en fin de saison sur la MotoZoo, et cela lui a permis d’apprendre la mesure de la chose et les circuits outremer. Et là, il démarre pour une saison pleine et j’en attends beaucoup ! J’espère qu’il va pouvoir faire un peu le même parcours que Manuel Gonzalez qui est un des seuls que l’on a pu sortir de la catégorie 300. J’espère donc que les trois pilotes que j’envoie cette année, à savoir Jeffrey Buis, Adrian Huertas le champion en titre de la 300, et Tom Booth-Amos, vont faire un beau parcours.
Toujours côté Puccetti cela n’a pas changé grand-chose pour Can Öncü car il est assez gaillard et n’a pas eu besoin de mettre beaucoup de poids sur la moto. Il connaît bien la catégorie, il a très bien roulé et il a été très compétitif avec la Kawasaki face à Niki Tuuli sur la MV Agusta qui elle, par contre, était en full power. Alors bien sûr, il faut toujours faire un petit peu attention en ce qui concerne les essais hivernaux, mais on sait déjà que, a priori, la MV Agusta, avec les restrictions, devrait rester dans l’acceptable.
En revanche, côté MotoZoo et notre débutant Jeffrey Buis, cela a été un petit peu plus laborieux, mais c’est normal puisqu’il faut vraiment apprendre la catégorie.
Quant au poids, je ne cache pas que pour l’instant ça reste un problème, surtout pour nos jeunes pilotes, parce que ça fait beaucoup de poids à mettre sur la moto. Alors pour l’instant, le team n’avait pas eu trop le temps de vraiment se pencher sur la question, donc le poids était un peu mis là où on pouvait sur la moto, et cela avait pas mal d’influence sur les transferts de charge. Cela a donc été un peu compliqué sur les freins pour Jeffrey. À toutes fins utiles, je lui ai demandé de faire un essai sans poids, et il a tout de suite vu la différence puisque, auparavant, on lui avait rajouté 5 ou 6 kilos et il n’y avait pas encore tout… Donc on va voir ce que ça va donner et il y a encore pas mal de travail. Bien évidemment, les teams vont travailler sur l’endroit où ils vont mettre les poids, en essayant de tout recentrer le plus possible autour du centre de gravité. On verra ce que ça peut donner. »

 

 

La Ducati 955, avec sa puissance et surtout son couple, vous apparaît-elle comme un épouvantail dans la catégorie ?
« C’est effectivement ce qui m’inquiète le plus, donc on attend avec impatience les détails des restrictions. Cela ne nous concerne pas directement puisque notre moto ne sera pas restreinte par rapport à ses performances actuelles, mais cela nous intéresse de voir comment seront restreintes les plus grosses cylindrées, et notamment la Ducati qui nous inquiète beaucoup. Après, dire comme ça, au doigt mouillé, ce serait franchement très prétentieux de ma part, mais de mon expérience en 400 et de la façon dont ils ont essayé d’équilibrer la catégorie, même si cela a mis beaucoup de temps et que l’écart était moins grand que ce qu’on a aujourd’hui, fort de cette expérience j’imagine que Dorna va certainement démarrer un petit peu mieux mais il m’étonnerait que l’on fasse bien du premier coup.
On a donc pris cette position avec Kawasaki, de voir un petit peu comment se passe cette catégorie avant de s’investir pleinement dans le développement. Pour justement développer dans la bonne direction : si la Ducati est plus forte que nous dans les lignes droites mais moins compétitive dans les virages, on forcera là-dessus, et inversement. Moi j’ai surtout peur que la Ducati ait une très très bonne accélération et puisse repartir bas en régime, ce qui faciliterait peut-être un peu les pilotes moins pointus et permettrait quand même de faire des résultats. C’est le point sur lequel pour l’instant on va discuter avec la FIM, pour voir si de ce côté-là c’est bien préparé et bien ajusté. »

Comprenez-vous la mise en garde virulente d’Éric de Seynes qui ne voit aucune justification à cette cohabitation arbitraire des 600 et des 1000 ?
« Oui, je le comprends. Comme je le précisais au début de l’interview, il était difficile pour nous de vraiment s’exprimer en tant que Kawasaki, un manufacturier qui pour l’instant n’a pas vraiment de moto pour la catégorie, ou en tout cas se concentre sur le marché des grosses cylindrées, donc à partir des 1000, et de l’autre côté les motos de petites cylindrées, jusqu’aux 400, pour les marchés asiatiques. Pour l’instant, la gamme du milieu ne nous intéresse pas plus que ça, car c’est devenu très compliqué à gérer, notamment avec les normes de pollution Euro 5 qui arrivent, qui sont vraiment difficiles et augmentent les coûts de façon importante, notamment sur des quatre cylindres. Alors nous, on va quand même vendre des cylindrées moyennes en Europe, mais ça passera par tous les bicylindres, comme la Ninja 650, la RS, etc.
Alors là on aurait pu trouver un bon point d’accord avec Éric de Seynes et Yamaha, et quelques motos japonaises, puisque ça créait une catégorie moyenne où tous les constructeurs japonais ont des cylindrées. Je pense qu’on aurait aussi pu mettre l’Aprilia 660 qui rentrait bien dans la catégorie, mais ce n’est pas le choix qui a été fait. Nous, on ne s’est pas battu outre mesure puisque Kawasaki n’avait pas vraiment d’intérêt là-dedans. Avec mon collègue, Steve Guttridge, qui gère les grandes lignes de notre implication en course, il était difficile pour nous d’aller porter une voix, sachant que le Japon n’était pas vraiment intéressé par la chose. »