pub

Les machines de MotoGP ont des performances très proches, et c’est souvent dans les détails que se fait la différence. Avec son expérience de 8 saisons en 500 cm3 et de 148 Grands Prix, ainsi que le titre mondial 250 en 1984, Christian Sarron a bien étudié la question l’année dernière. Le comportement des Desmosedici en cours d’épreuve a particulièrement attiré son attention, et il nous fait part ici de son point de vue qualifié.

Sur certains Grands Prix, on a eu l’impression que les Ducati disposaient en fin de course d’un petit avantage en matière de consommation. As-tu eu également cette impression ?

« Ducati a beaucoup travaillé sur la consommation, comme les autres constructeurs. Ce travail a été vital pour tous, mais particulièrement efficace pour Ducati si on remarque son net avantage à l’accélération qui est son principal point fort, en début comme en fin de course.

« En accord avec  cette puissance à l’accélération, il faut noter que les motos ne cabrent pas trop. Cela veut dire que leur dispositif aérodynamique avec les ailerons, tout comme leur système anti-patinage, sont tout à fait perfectionnés.

« Le système électronique retenu – entre autres pour l’anti-patinage – a été celui proposé par Magneti Marelli, dont Ducati a disposé avant les autres, alors que le boîtier électronique unique n’avait pas encore été imposé à tous. Ducati travaillait déjà depuis un certain temps avec ces logiciels, alors que les autres ont dû s’adapter. Cette meilleure connaissance a donné à Ducati un petit avantage. Leur gestion du moteur, de l’électronique – et donc de l’anti-patinage et de l’anti-cabrage – est très efficace. Elle est bien adaptée à la géométrie de la moto, ce qui est un point très positif. »

Pourquoi la puissance des Ducati est-elle supérieure ?

« Elle est supérieure parce qu’ils ont justement travaillé très fort sur la consommation. Historiquement, Ducati a toujours collaboré avec de grands constructeurs automobiles italiens (Ferrari, par exemple). Cette situation n’a pas changé et elle se prolonge actuellement puisque Ducati fait partie du Groupe VAG (Volkswagen) qui comprend notamment Lamborghini, Audi, Bugatti et Porsche.

« Ils ont beaucoup travaillé et l’on voit l’impressionnante performance de la Ducati, pas uniquement en vitesse de pointe, même si les Ducati ont toujours les meilleures vitesses finales comme au Mugello.

« Mais ce n’est pas la vitesse de pointe que l’on recherche, c’est l’accélération qui permet de passer le moins de temps possible dans une ligne droite. L’accélération des Ducati est supérieure dès le premier rapport grâce à ses ailerons et à la géométrie de son châssis qui fait qu’elle cabre plutôt un peu moins que les autres. »

En quoi la consommation de la Desmosedici est-elle plus favorable ?

« La plupart des constructeurs doivent diminuer la puissance du moteur en début d’épreuve pour être certain de terminer la course, en fonction de la contenance du réservoir qui est réglementairement de 22 litres. Ceux qui ont moins ce problème – et je pense que c’est le cas de Ducati – en tirent un avantage. On l’a vu par exemple au Grand Prix d’Aragon, où c’était flagrant : Marc Marquez en bagarre avec Andrea Dovizioso se faisait dépasser dans chaque ligne droite à chaque accélération.

« On a vu clairement que Honda y a géré la situation avec deux cartographies différentes. La première a été utilisée jusqu’à trois tours de l’arrivée, où Marquez a dû basculer sur la deuxième qui lui offrait plus de puissance. Sa machine disposant alors de plus de chevaux, il ne se faisait plus dépasser de la même manière par la Ducati de Dovizioso en fin de course.

« Marc Marquez a pu alors attaquer franchement Dovi. Il faut souligner que malgré sa puissance inférieure, l’Espagnol a réussi à suivre l’Italien pendant toute la course grâce à son attaque et son pilotage exceptionnels. Puis ensuite, pour les trois derniers tours, il a pu se permettre de forcer l’allure en consommant un peu plus parce qu’il avait économisé précédemment.

« Pour bien gérer ainsi sa fin de course, il n’y a pas que du pilotage. Il y a aussi la stratégie, l’utilisation du moteur et de sa puissance, donc de la quantité d’essence disponible. »

(Ndlr : Marquez a remporté le GP d’Aragon 0.648 devant Dovizioso)

Est-ce que cette évolution de la consommation a une influence sur l’usure progressive des pneumatiques ?

« Bien évidemment, là aussi au niveau de l’usure des pneumatiques, plus on a de puissance disponible et plus on use les pneus. Mais il faut préciser que le réglage du châssis et des suspensions affecte énormément l’usure du pneumatique arrière. L’avant aussi bien sûr, mais si on utilise un ressort de suspension très dur à l’arrière, on aura tendance à user plus le pneumatique. Deux pilotes peuvent réaliser des temps au tour identiques en utilisant des styles de pilotage différents. Il y a beaucoup de paramètres à gérer, sur les motos modernes comme c’était déjà le cas sur les motos anciennes. Un pilote peut décider d’économiser son pneumatique avec un pilotage plus coulé, et avec peut-être une cartographie un peu moins agressive en début de course, tout en en conservant un peu plus pour la fin pour être compétitif en cas de bagarre.

« On a vu que si Marc Marquez est Champion du Monde dans cette catégorie depuis 2013 c’est grâce à son talent de pilote, mais je pense aussi qu’il arrive à gérer un peu plus facilement que tous les autres pilotes les glisses de l’avant et de l’arrière. Il est agile et adroit comme un chat, et les glisses perturbent un petit peu moins Marc Marquez que Jorge Lorenzo.

« C’est aussi une affaire de compromis. Certains pilotes sont très performants en début de course, mais parfois moins fringants en fin de parcours. Maverick Vinales avait le problème inverse : il n’était souvent pas tout à fait dans le coup lors des premiers tours car le poids de l’essence dans le réservoir (13 à 14 kg) influait lors des transferts de masse sur le comportement de la machine et sur la sensation que peut avoir le pilote. Apparemment ça allait beaucoup mieux pour Maverick Vinales quand la machine s’allégeait au fur et à mesure du déroulement de la course, même si ses pneumatiques à priori devaient être un peu plus usés en fin d’épreuve, même lorsqu’il faisait des résultats moyens.

« Il faut tenir compte du fait que sur certains circuits la consommation est plus élevée, donc les machines sont plus à la limite. Ce n’est pas le cas sur d’autres pistes, donc l’équilibre des forces peut y changer. C’est ainsi que la hiérarchie a évolué en fin de saison puisqu’on a vu les Yamaha revenir à très bon niveau. Le tracé de certains circuits peut être plus favorable aux motos d’un constructeur (comme par exemple ceux qui comprennent des accélérations en sortie de virages serrés pour Ducati), alors que d’autres conviennent mieux non pas à un constructeur donné, mais à un pilote, comme c’est le cas d’Austin avec ses enfilades de courbes pour Marc Marquez.

« D’autre part, Ducati dispose d’une gestion électronique des pneumatiques grâce au logiciel spécialisé MegaRide, un programme qui permet de prendre en compte l’usure des pneus et l’adhérence de la piste (sec, humide, etc). Ils ont ainsi un petit peu d’avance sur leurs concurrents. »

Photos ci-dessus: GP d’Aragon 2018 (© Ducati et Repsol Media) et ci-dessous Christian Sarron (© Michelin)

Vidéo : victoire de Dovi au Mugello en 2018 by motogp.com / Dorna

 

Tous les articles sur les Pilotes : Andrea Dovizioso, Marc Marquez

Tous les articles sur les Teams : Ducati Team