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Comme nous l’avions fait l’année dernière avec bon nombre de francophones du paddock, nous profitons de la pause hivernale pour faire le point sur la saison passée et tenter de nous projeter sur 2021.

Après le très beau succès rencontré par son équipe lors de la dernière course à Portimão, il nous est apparu plus que logique de commencer cette série d’interviews par Hervé Poncharal, qui plus est président de l’IRTA.


Hervé Poncharal, vous venez de vivre une fin de saison en apothéose dans ce qui n’est que la deuxième année d’un contrat de trois avec KTM. Pensez-vous que cela était possible d’obtenir deux victoires en MotoGP des cette saison intermédiaire, alors que la première marche du podium vous avait jusqu’à présent toujours échappé en catégorie reine ?

Hervé Poncharal : « Je ne vais pas vous mentir : si on m’avait dit au début de la saison 2019 qu’on en serait là, fin 2020, je vous aurais pris pour un doux rêveur ou un optimiste forcené. Il est vrai que lors des premiers tours de roues sur la KTM pendant l’intersaison 2018/2019 nous ont fait toucher du doigt le fait qu’il y avait encore beaucoup de travail à faire sur cette moto. Mais même si on partait avec un rookie, Miguel Oliveira, et Hafiz Syahrin qui avait fait une année sur la Yamaha, on était confiant car on savait qu’il y avait beaucoup de choses qui allaient bouger. On savait aussi que le fait qu’il y avait quatre pilotes au lieu de deux jusqu’alors, allait aider, mais jamais on aurait pensé que la courbe d’évolution serait aussi rapide et aussi raide pour obtenir des résultats. C’est une très belle histoire ! D’ailleurs, beaucoup d’observateurs dans le paddock disent que la machine qui semble être le plus aboutie de l’extérieur, c’est celle qui a gagné le championnat, la Suzuki, mais que par contre celle qui a le plus progressé est la KTM. Tous ensemble, on a quand même gagné trois courses, et fait cinq podiums et deux pole positions, et la dernière course s’est terminée de manière magistrale, avec ce qu’on appelle le hat-trick : pole, record du tour et victoire en étant en tête du premier au dernier tour. Ça a été une démonstration incroyable et je dis toujours que des histoires comme ça, c’est un conte de fée ! »

« Le conte de fée n’est pas fini, mais terminer comme ça la dernière course du championnat 2020 pour la dernière course de notre pilote Miguel Oliveira chez Tech3, pour aussi le premier Grand Prix au Portugal sur le circuit de Portimão, ça donne des ailes, ça rend léger et ça fait oublier tous les moments difficiles qu’on a eu à vivre avec le confinement, avec le questionnement de savoir si on allait avoir des courses ou pas, et avec les trois courses d’affilée qui ne sont pas toujours très faciles à vivre. Franchement, dimanche, on n’était pas loin d’être les plus heureux du monde, mais même si maintenant on est rentré chez nous, personne n’est vraiment descendu de son nuage. »

Comment expliquez-vous la progression spectaculaire de KTM en si peu d’années ?

« Il n’y a pas de réponse unique mais je pense sincèrement, et je l’ai déjà dit dans vos colonnes, que j’ai rarement vu une usine où l’amour de la compétition était aussi puissant, et où l’implication des gens était si grande. Ça fait peut-être slogan publicitaire et, entre guillemets, faux derche, mais c’est la vérité : je n’ai rien à vendre, je n’ai rien à acheter, je dis ce qui se passe. Du chauffeur de camion au big boss de la société, tout le monde vit compétition. Il y a une envie et une capacité de travail : le moindre détail est étudié, sur-étudié, rien n’est laissé au hasard. Il y a une structure d’essais qui est excessivement utilisée avec Dani Pedrosa et il y a une espèce de contagion de cette envie de gagner et de cette foi dans le travail. Je pense que c’est aussi simple que ça, mais pourtant, la partie n’était pas gagnée d’avance parce qu’on sait que Stefan Pierer, le patron et le propriétaire, n’a jamais voulu céder sur le châssis tubulaire en acier et sur les suspensions WP alors que, jusqu’à présent, on disait qu’il n’y avait pas d’avenir et de succès possibles sans un châssis en aluminium et des suspensions jaunes. Donc non seulement ils ont réussi contre vents et marées, et sous un flot de critiques et de quolibets parfois déplacés, à garder leur direction technique et leur ADN, mais avec tout ce travail, cette implication et cette envie, ils ont réussi à faire en très très peu de temps une des meilleures machines du championnat. Et ce qui est marrant, et ça répond tout à fait à votre question, c’est que quand on était ensemble dans le box après la cérémonie du podium, j’ai dit à Miguel ” tu te rappelles Valence 2018, la première fois où tu t’es assis sur la moto ? Tu te souviens du premier feeling et tu mesures le chemin parcouru en 24 mois ? “. Il a acquiescé, et avec Mike Leitner qui était à côté, on s’est tous regardé et on a tous rigolé. »

« Après, je n’aime pas faire du publi-reportage, car il aura toujours des gens qui diront que je vends ma salade et que Poncharal est acheté, mais à la base c’est ça ! Puis, il y a aussi le fait que l’on est une usine européenne, avec un management hyper vertical : pour avoir un feu vert, franchement, ça prend moins de 10 minutes ! Quand on a une idée, on téléphone au boss qui est hyper disponible, et dans les 10 minutes, il nous dit de foncer où il nous arrête. Mais jusqu’à présent, il nous a toujours dit de foncer. Ça, c’est vraiment important parce que dans les plus grosses boîtes, et notamment les boîtes asiatiques, il faut que ça passe par tout un tas de hiérarchie, et ça prend toujours un certain temps à chaque étape, et parfois même la réponse ne revient jamais. »
« C’est important parce que on vit dans un monde en général, et c’est encore plus vrai en compétition, où il faut toujours être en mouvement. Sur la piste, mais aussi derrière. Il faut sans arrêt avancer, il faut sans arrêt investiguer, et cela a toujours un coût, que ce soit logistique, humain, technique. Il est donc important d’avoir cette réactivité due au management vertical de KTM plus, évidemment, à cet engagement total de tout un chacun concerné par le projet. »

« Tout m’émeut, et j’ai eu mon lot d’émotions à Portimão, mais il y a beaucoup de choses qui m’ont particulièrement ému à l’arrivée de la course. Un très beau moment, c’était quand j’ai pris Miguel dans mes bras et qu’on s’est regardé sans rien se dire, front contre front. Une autre chose qui m’a beaucoup ému, c’est avec Stefan Pierer, le patron du groupe Pierer Mobility qui représente KTM, Husqvarna, GasGas, WP et j’en passe. Dès que le drapeau à damiers s’est abaissé, je me suis retourné et il était là. Il m’attendait, il m’a pris dans ses bras et il pleurait comme une madeleine. C’est beau ! Il n’y avait rien besoin de dire. Il n’avait pas besoin de dire “bravo, je suis heureux”. Il n’a pas dit un mot, mais ça suffisait pour tout comprendre, pour comprendre ce que représente la compétition et le MotoGP pour lui, et pour comprendre ce que tu es en train de lui donner comme émotion alors qu’il t’a fait confiance et qu’il te suit. Ce sont des anecdotes qui montrent la passion, l’investissement et les rapports humains qui existent. »

Une équipe de MotoGP, ce sont des hommes mais aussi des machines. Quand KTM est arrivé dans cette catégorie, on a pu observer une valse de nouveaux cadres, presque à chaque course. Le développement se poursuit-il sur le même rythme effréné ?

« En 2019, j’ai vécu la période Moto2 où les châssis se succédaient aussi. Je n’étais pas avec eux en MotoGP quand le projet a commencé, c’est vrai qu’il y a eu beaucoup de développements, et c’est normal, car quand on ne sait pas où on va et qu’en plus on est les seuls à utiliser cette technologie, il y a des tâtonnements, mais quand tu as la volonté d’avancer, il faut tester, contre-tester, comparer, etc. Donc oui, il y a eu une valse de tout, et pas uniquement des châssis. Mais on voit très nettement que cette année, depuis que le prototype 2020 que l’on a testé à Valence et à Jerez l’année dernière fin 2019 est arrivé, il y a une vraie stabilité. Une vraie stabilité. Et on voit plutôt moins de modifications que ce que l’on a vécu durant les deux dernières années avec notre constructeur précédent. On est arrivé à un point de compréhension et de performance de notre matériel où il s’agit plus de travailler sur les paramètres d’optimisation, donc de réglages, de notre package plutôt que de remettre tout en cause à chaque course. Il y a maintenant une vraie stabilité technique. »

On en déduit donc la moto 2021 ressemblera beaucoup à la 2020…

« Oui ! Je sais qu’ils essaient de réfléchir à comment optimiser le package technique que l’on a aujourd’hui, mais elle sera très très proche de ce qu’on a actuellement, même si je pense qu’il y a encore moyen de gagner deux ou trois petits dixièmes en travaillant sur des choses qui le nécessitent. Tout est important et je prends par exemple le holeshot device. On l’a eu relativement tard puisqu’on l’a reçu à Aragón et il fonctionne excessivement bien. Mais sans ce système, on ne faisait peut-être pas la course qu’on a faite au Portugal, car on a vu que Miguel est parti comme une fusée et a pu se ménager une marge dans les deux ou trois premiers virages où ça se bouscule généralement beaucoup. Il est donc clair que cette aide au départ, le fameux holeshot device, a bien fonctionné et nous a bien aidé, et il y a encore tout un tas de choses que l’on peut faire bien évoluer sur cette moto, même si la base restera la même pour 2021. »

A suivre…

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