Ducati risque

Certains se plaignent de la domination italienne en MotoGP ; pour eux, huit Desmosedici représentent un trop grand contingent. Mais Ducati, non content de sa supériorité avérée depuis fin 2021, vient encore de prendre un risque supplémentaire. Un de plus ; le management made in Borgo Panigale n’hésite pas à donner, à tous, des chances égales, tant pis pour les officiels et a fortiori Pecco Bagnaia qui peine à s’installer durablement en tant que leader de la marque. La signature de Fermin Aldeguer est un énième exemple de cette stratégie offensive. Analyse d’un transfert inédit.

 

Un génie de plus ?

 

À l’heure où ces lignes sont écrites, vous n’avez pas pu passer à côté de Fermin Aldeguer. Véritable talent encore inconnu au bataillon il y a trois ans de cela, ce jeune Espagnol de 18 ans semble être un prodige de plus. Il est entré en mondial par la petite porte, à savoir le MotoE au début de l’année 2021. Puis, repéré par l’équipe Speed Up/Boscoscuro à mi-saison, il eut du mal à s’acclimater au Moto2… avant de subitement progresser.

 

Ducati risque

Fresh. Photo : Speed Up Racing

 

Pole début 2022 en Argentine – suivie d’une course mémorable bien qu’achevée par une chute, nouvelle pole en Australie puis victoire dès le Grand Prix de Grande-Bretagne 2023. Un beau parcours, donc, mais rien d’exceptionnel à proprement parler. Cependant, sur son châssis Boscoscuro, historiquement moins performant que le Kalex, il s’est absolument révélé il y a moins de six mois.

Fermin Aldeguer a pris la victoire de manière dominante lors des quatre dernières manches de la saison passée. Quatre d’affilée, une première depuis Toni Elias en 2010. Marc Marquez, Pol Espargaro, Johann Zarco ou Pedro Acosta n’y étaient pas parvenus. Avant même le début de l’exercice 2024, des rumeurs l’envoyaient chez Ducati ; bruits de couloir vérifiés peu de temps après. Il a tout d’un nouveau génie, d’accord, mais il faut reconnaître que l’échantillon est faible.

 

 

Une situation inédite

 

Il est un très bon pilote ; à n’en pas douter. Même Pedro Acosta jouait deux divisions en dessous de lui sur la fin 2023. Mais n’est-ce pas prématuré ? Seuls quelques élus eurent la chance d’être sélectionnés par des équipes de pointe aussi tôt dans leurs carrières. Jorge Lorenzo, Dani Pedrosa, Marc Marquez étaient tous pistés depuis longtemps, et couvés par des écuries-mères puissantes au plus haut niveau. Ici, Ducati décide de faire confiance à Aldeguer après seulement un mois de performances ahurissantes – du 29 octobre au 26 novembre 2023.

Nul doute que les huiles italiennes étudiaient attentivement ses débuts en 2024, toujours chez Speed Up. Et ce n’était pas si glorieux. Au Qatar, il ne fut pas épargné par un problème de pneus qui toucha la majorité des favoris. Ceci se solda par une triste 16e position. Circonstances atténuantes, donc, mais deux éléments m’empêchent de l’excuser. Premièrement, il ne partait que depuis le septième rang, alors que les qualifications sont l’un de ses points forts. Deuxièmement, son coéquipier Alonso Lopez, deuxième sur la grille, remporta la course avec brio.

 

Ducati risque

Quelle photo. Crédit : Speed Up Racing

 

Au Portugal, c’était un peu différent. Il était bien mieux classé à l’issue de la Q2, mais vola le départ. Pour un rien, oui, mais il le vola quand même. Ses deux long laps mirent fin à tous ses espoirs, bien qu’il remonta jusqu’en quatrième position. Il semblait planer. Mais une fois de plus, son coéquipier Alonso Lopez partait beaucoup mieux avant de chuter depuis la tête. Ainsi, je ne peux pas me prononcer sur la hiérarchie si tôt. Mais force est de constater qu’il n’a pas débuté 2024 comme il a terminé 2023.

 

Ducati peut se le permettre

 

Avec Pecco Bagnaia, Jorge Martin, Marc Marquez et consort, la firme italienne peut s’offrir un talent supplémentaire, surtout que Franco Morbidelli, chez Pramac, n’a jamais été en odeur de sainteté.  Sa place de fusible n’a pas été aidée par deux week-ends cataclysmiques. Jorge Martin, de son côté, pourrait passer dans l’équipe d’usine. Si l’affaire Aldeguer nous apprend quelque chose, c’est bien qu’il ne faut jamais tarder à se mettre en marche ; chaque course compte, depuis le Grand Prix d’ouverture.

J’avais conclu, à l’issue de l’année passée, que Fermin Aldeguer méritait un guidon en MotoGP lorsque Honda Repsol cherchait un pilote. Mais cela représentait une situation d’urgence, car Alberto Puig et ses hommes n’avaient toujours aucun volontaire à une course de la fin. Finalement, la situation se débloqua avec l’envoi de Luca Marini sous le auvent Honda. Du coup, le contexte change. Ce que je peine à comprendre, c’est pourquoi Ducati a si vite sauté sur l’occasion.

D’autres constructeurs auraient pu se montrer intéressés ; je pense à deux en particulier, mais aucun ne bénéficie du pouvoir attractif de Ducati, qui peut promettre, aisément, la meilleure machine. Yamaha, qui devra sans doute remplacer Fabio Quartararo, et KTM, qui cherchera une alternative à Jack Miller et à Augusto Fernandez – s’il continue comme ça, ou les deux. Aldeguer n’est pas un pilote Ajo en Moto2 comme l’étaient Raul Fernandez, Remy Gardner ou Pedro Acosta. Les Autrichiens n’avaient donc pas d’avance sur le dossier. Yamaha, surtout si Quartararo hisse la grand voile, ne jouit d’aucune attractivité hormis l’argent – si et seulement si Iwata veut bien casser sa tirelire.

 

Qui va-t-il remplacer, Morbidelli ou Jorge Martin ? Choix difficile, n’est-ce pas. Photo : Michelin Motorsport

 

Aucune des deux propositions ne fait le poids face à Ducati Pramac. Je pense qu’il y avait le temps, aussi pour constater de son talent et ne pas se fier à un mois de performance uniquement. Nous avons déjà vu des pilotes se transcender pour quelques temps seulement, et ne jamais retrouver ce niveau. Je ne dis pas que c’est le cas d’Aldeguer, mais Ducati doit surveiller ses courses avec la plus grande attention, dans l’espoir d’avoir tiré le gros lot. Son transfert bouche quand même une place privilégiée sur la grille.

 

Conclusion

 

Le choix de Ducati est risqué, mais comme celui de privilégier Enea Bastianini à Jorge Martin fin 2022. C’est dans la philosophie de l’entreprise, et c’est peut-être ce qui fait qu’elle domine. Pour gagner gros, il faut miser gros, et cet adage s’adapte aussi bien à la signature des pilotes qu’à la direction technique. Aldeguer est à regarder de près car il pourrait être un nouveau talent générationnel à la Pedro Acosta. J’essaierai de refaire un point ultérieurement selon l’évolution de sa saison.

Que pensez-vous de cette signature ? Dites-le moi en commentaires !

Photo de couverture : Speed Up Racing

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