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L’une des façons pour les instances de la catégorie MotoGP de contrôler à la fois les coûts et les performances a été l’utilisation de l’électronique standardisée. La première étape a été de rendre l’ECU unique et standard, permettant aux usines de continuer à utiliser leur propre logiciel sur l’ECU Magneti Marelli adopté en 2014. Cette décision a empêché les usines de se faire la course à l’armement pour développer leur propre ECU spécifique.

En 2016, le MotoGP est passé au logiciel unique en plus de ce fameux ECU unique et standardisé. Tout le monde étant obligé d’utiliser le même logiciel, les usines ne pouvaient plus employer un grand nombre d’ingénieurs pour développer un logiciel afin d’essayer de trouver des moyens efficaces pour contrôler le comportement de la moto, grâce au contrôle de la traction, au frein moteur et aux stratégies anti-wheeling. Dorna avait espéré créer des conditions de courses équitables avec cette nouvelle décision.

Bien sûr, il n’y a rien que les ingénieurs aiment plus que le défi de trouver des moyens de contourner et retourner les règles du jeu en leur faveur. Depuis l’adoption du logiciel unique, les différentes usines ont trouvé différentes façons d’essayer d’extraire un avantage des règles actuelles.

L’une des pistes explorées par les ingénieurs est l’utilisation d’une IMU, une Unité de Mesure Inertielle (Inertial Measurement Unit, en anglais dans le texte). Ce que fait une IMU, c’est de restituer l’angle d’inclinaison, l’assiette et l’accélération d’une moto. De par sa nature même, cet élément électronique nécessite beaucoup d’intelligence pour mesurer et calculer tous ces facteurs. Il n’en fallait pas moins pour soupçonner que les usines profitent de cette intelligence pour utiliser l’IMU comme une sorte d’ECU secondaire, capable de faire plus de calculs et de modifier les entrées de l’ECU standardisé pour modifier le comportement de la moto. L’IMU était jusque fin 2018 un «capteur libre», ce qui signifie que les usines étaient libres de choisir l’IMU qu’elles souhaitaient utiliser.

Imposer une IMU unique

Afin d’éviter une nouvelle course à l’armement, en 2019, Dorna a également imposé une IMU standardisée et contrôlée pour empêcher les usines de l’exploiter à des fins diverses et variées. Le logiciel et la puissance de traitement de l’IMU étant limités, les usines ne peuvent donc plus modifier subtilement le comportement de l’ECU standard à la recherche d’un avantage.

Il y a précisément deux raisons pour lesquelles Dorna a décidé d’utiliser un IMU standard. La principale raison est la sécurité anti-falsification (ou anti-triche), parce que l’IMU est un capteur très important qui, par nature, comprend un processeur et une puissance de calcul interne. Qui dit puissance de calcul dit nécessiter de la maitriser et de la réglementer. C’est la raison principale. La deuxième raison est comme toujours le contrôle des coûts, car comme il s’agit d’un capteur libre, tout le monde essaie de développer le sien, ce qui représente beaucoup d’argent.

Il y a eu en effet des soupçons dans le paddock comme quoi certaines usines utilisaient l’IMU comme une sorte d’ECU « superposé », l’IMU prenant une partie de la charge de calcul de l’ECU standard, et permettant un contrôle plus précis du comportement de la moto. Le système électrique des prototypes MotoGP, comme la plupart des véhicules modernes, est connecté à l’aide d’un bus CAN, qui fonctionne comme un réseau miniature à bord du véhicule. Toutes les sorties des différents capteurs sont envoyées sur le bus CAN, l’ECU récupère ces informations et prend des décisions en conséquence sur le contrôle et la fourniture de la puissance. Mais comme le bus CAN est un réseau ouvert, tous les capteurs connectés au bus CAN peuvent théoriquement en lire les données et effectuer leurs propres calculs en fonction de ces données. Une IMU intelligente pourrait lire les données du bus CAN, puis modifier sa propre sortie en fonction de cette entrée, permettant un contrôle plus précis des stratégies logicielles de l’ECU, en trompant ce que celui-ci voit.

Bien que cela soit techniquement possible, ce n’est pas permis par le règlement. Ce qu’a fait la Dorna en standardisant l’IMU, c’est d’ajouter un degré de sécurité. Car il est facile de tricher, pour n’importe quel ingénieur informaticien.

IMU ou second ECU ?

Théoriquement, les gains réalisés en verrouillant l’IMU pourraient être obtenus en faisant la même chose avec d’autres capteurs, mais l’IMU est un cas particulier en raison de la quantité d’intelligence déjà intégrée au capteur.

Sur un réseau informatique domestique, tel que celui qui vous sert à accéder à Paddock GP, on appelle cela un « sniffer », un analyseur réseau, qui renifle les données. Avec une IMU, vous pouvez renifler des données sur le bus CAN qui ne sont pas censées entrer dans l’IMU. En récupérant ces données, il est possible de les utiliser d’une certaine manière et de les modifier de sorte que vous modifiez fondamentalement ce qui arrive en données à l’entrée des stratégies du logiciel de contrôle.

Ces modifications ne permettraient pas un contrôle direct du moteur, car celui-ci est géré uniquement par l’ECU. L’ECU contrôle les actionneurs, les composants directement en relation avec le système d’injection et l’allumage tels que les injecteurs, les soupapes d’admission, les soupapes d’échappement, le calage de l’allumage, etc. L’utilisation de l’IMU permettrait un contrôle indirect du moteur, en ne manipulant aucun actionneur.

Néanmoins, les avantages offerts par ce genre de tricheries étaient minimes. Il fallait arriver, en trompant l’ECU, à faire mieux qu’en ne le trompant pas, ce qui n’est pas acquis. Et même si l’on envoie des données truquées à l’entrée de l’ECU, les stratégies de calcul sont les mêmes pour tout le monde, il y a peu de chances d’arriver à trouver une amélioration en sortie. Ce qui marcherait est de modifier le signal entre la sortie de l’ECU et l’actionneur, afin de modifier la commande, mais ce n’est pas le cas ici.

Une limitation de l’effet

Un ECU se trouvant entre l’ECU et les actionneurs ajouterait un contrôle direct et plus fin de l’allumage et du remplissage en mélange air/essence du moteur. L’IMU ne peut pas contrôler directement les actionneurs, car il a l’ECU entre lui et les actionneurs, ce qui signifie qu’il doit « tromper » l’ECU en modifiant les sorties pour contrôler indirectement les actionneurs. L’IMU ne peut pas modifier directement les calculs de l’ECU, mais seulement ce qui rentre dans celui-ci. Pour cela il faut être vraiment très bon afin d’être en de modifier les entrées, afin de donner une commande de sortie plus utile, parce que vous ne mettez rien.

Mais la seule façon de le faire est de lire les données du bus CAN et de les utiliser dans les calculs effectués par l’IMU, ce qui modifierait alors ses données de sortie pour l’ECU. Physiquement c’était possible jusque fin 2018. Avec l’IMU standard, les données sont chiffrées, et donc non modifiables. C’est un point important, qui permet une quantité d’actions limitées.

Comment tricher ?

Prenons un exemple simple pour comprendre la façon dont l’IMU pouvait être utilisée pour contourner le logiciel standard et gagner en contrôle. Le principal l’objectif de l’IMU, si elle est réellement utilisée en tant que tel, est de fournir l’angle d’inclinaison à l’ECU. De nombreuses stratégies utilisent cette donnée d’entrée, en particulier le contrôle de traction. Au fur et à mesure de la course, le pneu arrière s’use, et le pilote peut le régler via son tableau de bord. Mais en roulant à 300km/h, cela peut être perturbant et il paraitrait logique d’adapter le contrôle de traction automatiquement. Si par exemple, les usines arrivent à envoyer à l’IMU le nombre de tours réalisés et qu’à chaque tour on ajoute un petit quelque chose à l’angle d’inclinaison réel afin de lire plus d’angle, de sorte que le contrôle de traction limite plus la puissance, cela fait une action de moins pour le pilote.

En effet, cela imiterait l’ancien logiciel d’auto-apprentissage utilisé par les usines, qui calculait l’usure des pneus tour par tour et prédisait comment il réagirait au cours de la course. Si les ingénieurs ont une bonne estimation de la vitesse à laquelle un pneu s’use, ils peuvent l’utiliser pour modifier le contrôle de traction pendant la course.

Mais comme ils n’ont pas le contrôle de l’ECU, ils doivent utiliser un proxy. Les ingénieurs peuvent utiliser le nombre de tours pour modifier l’angle d’inclinaison dans chaque virage de quelques dixièmes de degré à chaque tour. Ainsi, au 1er tour, l’IMU rapporterait avec précision l’angle d’inclinaison de la moto. Mais au 20e tour, l’IMU ajoutait quelques degrés à l’angle d’inclinaison réel, ce qui ferait que l’ECU penserait qu’il faudrait ajouter plus de contrôle de traction qu’au premier tour.

Le remplacement de l’IMU par un capteur standardisé n’élimine pas complètement ce genre de contournement de la règle, mais rend une telle tricherie beaucoup plus difficile et beaucoup plus flagrante. En théorie, on peut modifier toutes les données qui transitent via le CAN. Avec une IMU, c’est « facile » : il suffit de déclarer que c’est une IMU, mais ce n’est pas le cas. Ceci est le premier niveau de triche. Le deuxième niveau serait d’utiliser un ECU supplémentaire, mais de ne pas le déclarer. En prenant toujours en compte la limitation que tous les actionneurs sont pilotés par l’ECU…