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Cela fait maintenant plusieurs années que nous voyons défiler différentes équipes du championnat du monde, principalement en catégorie Moto2, dans la soufflerie de Genève placée sous la responsabilité du Professeur Patrick Haas.

Nous avons donc profité de la trêve hivernale pour faire le point avec ce dernier, à la fois en ce qui concerne les récents travaux aérodynamiques des équipes MotoGP, mais aussi sur les fonctionnalités sans cesse accrues de l’outil qu’il gère avec toujours la même passion.

Nous le remercions du temps qu’il nous a accordé, ainsi que d’avoir éclairé un domaine très technique avec des phrases compréhensibles par tout un chacun.


Professeur, pourquoi autant d’équipes ou de constructeurs Moto2 se rendent à la soufflerie de l’hepia à Genève ?

« Je pense que c’est parce qu’avec un budget donné, vous avez le choix entre aller dans une soufflerie très sophistiquée et très chère, destinée souvent à des applications aéronautiques ou de recherche, et ne pas y rester longtemps, ou vous rendre ici où c’est bien moins cher, de taille plus petite, et où on peut vraiment prendre le temps de travailler afin d’obtenir des résultats recherchés. C’est-à-dire des résultats sur la piste !  Souvent, c’est la structure du groupe qui rend l’installation chère. Il y a souvent des installations représentant des investissements importants, mais qui ne sont pas d’une grande utilité ailleurs que pour la recherche. Nous avons à hepia une histoire particulière. Nous sommes partis de rien, sans grands moyens. Nous avons toujours cherché à être pragmatique et nous avons toujours dû nous poser la question à qui nous allons bien pouvoir vendre l’utilisation de tel ou tel instrument. Bien que je porte le titre de professeur, je me considère avant tout comme un ingénieur. Les personnes qui travaillent avec moi ont le même ressenti. Ils sont passionnés de mécanique».

Depuis notre dernier passage l’année dernière, la soufflerie a évolué, en particulier avec une nouvelle fonctionnalité concernant les radiateurs des motos…

« Effectivement, nous avons fait des investissements dans le domaine de la thermique avec pour objectif de mesurer le refroidissement des radiateurs en même temps que l’aérodynamique. Donc quand on fait un essai aérodynamique, on connaît en même temps les puissances de refroidissement de l’objet qui est dans la soufflerie. Cela permet de pouvoir prendre des décisions, notamment sur les carénages latéraux, les ouïes et les dimensions de radiateur. Suivant les solutions que l’on peut apporter, on connaît l’impact sur le refroidissement de la moto sans devoir aller rouler sur la piste et mesurer les températures d’eau pour valider des choix de solutions.
La deuxième chose est de pouvoir ensuite développer des radiateurs beaucoup plus performants ou de calibrer des radiateurs. Le calibrage est important car il peut ensuite être utilisé dans des modèles de simulation CFD (calcul informatique) ».

Aujourd’hui, en catégorie Moto2, le radiateur est un vrai frein aérodynamique ?

« Oui, à ces vitesses-là, c’est clair qu’il offre une grande résistance, donc il y a une différence de pression qui est importante. Après, ce qui est compliqué, c’est l’effet de cette différence de pression sur l’aérodynamique globale de la moto. Ce n’est pas toujours ce que l’on croit et ce n’est pas toujours le radiateur qui laisse passer l’air facilement qui donne la meilleure aérodynamique ou la vitesse de pointe la plus élevée. Mais il y a vraiment un lien entre l’aérodynamique et le radiateur. C’est un élément qui fait partie intégrante de l’aérodynamique de la moto ».

Pour le grand public, on peut peut-être expliquer qu’il y a un effet de bourrage de l’air au niveau du radiateur, que cet effet de bourrage bien calibré permet de participer à une bonne aérodynamique et qu’il ne faut pas trop le diminuer…

« Voilà, c’est ça. On sait par exemple que quand les teams mettent du ruban adhésif sur les radiateurs quand il fait un peu trop froid, cela peut parfois rendre la moto plus rapide. Il n’est donc pas évident que le meilleur radiateur est celui qui offre la résistance la plus faible. C’est vraiment un élément qui participe à l’aérodynamique globale de la moto et qui ne peut pas être étudié seul ».

Donc vous avez investi dans tout un système de réservoirs, de pompes et de chauffage de l’eau…

« Oui, nous sommes en train d’installer dans la soufflerie une grosse réserve de 800 litres d’eau chaude que l’on pourra faire circuler avec une pompe haute pression jusque vers la section d’essais. L’eau circulera donc dans le radiateur de la moto pendant l’essai. On mesurera également le débit ».

Une autre piste de travail, c’est votre maquette à l’échelle ½ d’une Moto2. Elle est maintenant terminée. Est-ce que les résultats mesurés se rapprochent de ceux obtenus par le calcul informatique, et est-ce que tout cela est cohérent par rapport aux mesures effectuées sur une moto de taille réelle sur la piste ?

« Oui. Entre la moto à l’échelle ½ et celle à l’échelle 1, on peut tout à fait transposer les résultats. Ça se passe très bien et on n’a pas de facteur d’échelle. De plus, dans notre soufflerie, l’échelle ½ est tout à fait adaptée et les résultats sont très bons. Ce que l’on perd avec les micro-détails, on le récupère avec des résultats de meilleure qualité dans la section d’essais. C’est donc tout à fait comparable, et comparable également avec la CFD que l’on a validée depuis passablement de temps. Pour nous, c’est également une façon d’avoir constamment une moto dans notre laboratoire et de produire des pièces moins chères puisque, comme elles sont plus petites, nous les fabriquons en impression 3D. Nous avons d’ailleurs acquis notre propre imprimante 3D pour être encore plus réactifs ».

On voit que cette moto est très détaillée avec son moteur réalisé en impression 3D, mais aussi un vrai radiateur dans lequel circule de l’eau…

« Effectivement, on peut également faire de la mesure de refroidissement sur la maquette avec de l’eau chaude qui passe dans le radiateur ».

Actualité oblige, cette maquette est pour le moment équipée d’un moteur quatre cylindres Honda. Allez-vous bientôt la doter d’un trois cylindres Triumph ?

« Tout à fait. On va soit adapter la maquette, soit refaire une autre maquette, mais le moteur sera de toute façon refait, ainsi que les carénages pour nous adapter à la future règlementation. On refait d’ailleurs régulièrement des carénages car c’est une maquette qui est prévue comme on le fait dans le monde de la Formule 1 : il y a un squelette sur lequel on vient fixer des éléments réalisés en prototypage rapide, et c’est ce squelette qui est instrumenté. Mais tout ce qui est carénage, moteur, bulle et même le pilote, tout cela se change très très vite ».

Mais avec cette maquette sur laquelle vous travaillez en permanence, n’allez-vous pas aboutir à un résultat exceptionnel et proposer une solution clé en main aux différents constructeurs qui viennent chez vous, au lieu de les laisser progresser à partir de leur base de départ ?

« On peut effectivement travailler de notre côté, sans avoir une moto d’un team en permanence ici, ce qui serait de toute façon très difficile. Avec un constructeur, ce serait plus facile, mais cette maquette nous permet déjà de valider une idée que l’on pourrait avoir, avant de la proposer ».

Depuis la première moto que nous avons vue ici il y a quelques années, la NCS Rapid Inside, les teams et les constructeurs semblent défiler ici, avec CarXpert, Tech3, KTM, NTS et quelques autres en Moto3, Moto2 et même une MotoGP. Pourquoi cet intérêt croissant pour la moto de compétition, alors que vous travaillez également dans bien d’autres domaines où l’aérodynamique a son importance ?

« J’ai toujours cherché à développer notre travail sur des projets très concrets qui vont jusqu’à l’application finale. Le système HES est tout à fait dans cet état d’esprit même si ce n’est pas très courant dans le système universitaire suisse. Pour un professeur, c’est aussi une volonté de montrer qu’il sait faire quelque chose de concret, et pas seulement des publications sur de la recherche fondamentale. Ce qui est également plaisant, c’est que le chronomètre évalue de façon objective le résultat de notre travail. Ce n’est pas un comité de lecture. Il s’agit d’un jeu assez noble. C’est un rêve d’enfant que de contribuer à une moto qui gagne à Mugello !».

Vous travaillez avec des instruments très précis, comme par exemple des pesons qui ont une sensibilité de 2 grammes alors qu’ils peuvent mesurer des forces de 300 kg. Comment s’assurer que le pilote couché sur la moto dans la veine d’air n’influence en aucune façon les résultats ?

« On pense déjà à développer des séries de mannequins en impression 3D et en taille réelle, c’est-à-dire d’aller en soufflerie non pas avec des pilotes mais des mannequins, pour améliorer la répétabilité des essais sur le développement de la moto. Le travail avec les pilotes reste nécessaire, car c’est aussi un entrainement pour eux, mais quand on étudie de petites choses, on a besoin d’améliorer la sensibilité. Ensuite, ces petites choses mises ensemble offre des différences significatives et mesurables. Mais le travail est réalisé parfois sur des détails. Une chose amusante est qu’on voit d’ailleurs, très bien dans la soufflerie les qualités d’un pilote. Certains sont exceptionnels, ils sont capables de reprendre une position de manière très fidèle. L’écart sur la force de résistance mesurée entre deux essais peut être inférieure à 1 N sur 400 N, alors que le pilote est descendu de la moto entre les deux essais. Ce sont des professionnels ! »

Dans toutes les Moto2 que vous avez vu défiler ici, à combien peut-on estimer la différence de vitesse entre la pire et la meilleure, d’un point de vue aérodynamique ?

« Sur les circuits rapides que l’on connaît, nous avons souvent réussi à obtenir 1-2 km/h de mieux que la seconde moto la plus rapide. C’était notamment le cas de Tom Lüthi en début de saison 2017. Puis ce fut le cas avec Oliveira et la KTM sur la fin de la saison. C’est important car, avec une moto plus lente, il faut rattraper cette différence sur tout le reste du circuit, ce qui est une situation assez frustrante pour le pilote. La différence entre la moto la plus rapide et la plus lente est supérieure à 8 km/h. C’est énorme».

En 2016, la Ducati était la plus chargée du point de vue aérodynamique, avec une estimation de 40 kilos dans sa configuration maximale. Cette année, en MotoGP, on a vu apparaître des appendices destinés à remplacer les ailerons. Y a-t-il des solutions qui vous plaisent plus que d’autres ?

« On sent que Ducati travaille beaucoup. Pour respecter le règlement, ils ont englobé les ailerons sur la fin de l’aile. Ce n’est donc plus une aile qui se termine dans l’air mais c’est une aile complètement carénée. On sent également que ce carénage a été particulièrement étudié pour faire comme des becs de bord d’attaque sur des profils, c’est-à-dire des choses qui tiennent l’écoulement collé à la moto. Il y a un peu un double effet. La bulle a beaucoup changé aussi. Ça paraît très recherché.

Après, on voit aussi qu’ils ne l’utilisent pas tout le temps et ça devient donc un peu comme le monde de la Formule 1, là où on commence à ne plus avoir une optimisation de vitesse de pointe, mais une optimisation de circuit. On n’optimise plus des choses aussi simples que la vitesse de pointe, mais plutôt des temps au tour. On fait vraiment un calcul avec des modèles de tout le circuit, et on optimise une solution qui offre un temps au tour bas. Ce sont des choses connues du monde de la F1 et on sent que ça vient en MotoGP.
On voit aussi que certains constructeurs cherchent à améliorer des points faibles de leur moto. Tous les constructeurs ne sont donc peut-être pas nécessairement intéressés à mettre des immenses ailerons ».

Vous évoquez Honda ?

« Oui, leurs ailerons sont assez modestes pour le moment ».

Verra-t-on bientôt des appendices aérodynamiques en Moto2 ?

« Oui, je pense que ça va arriver très fort. On sait que le règlement Moto2 a été uniformisé avec celui des MotoGP, donc je pense que l’on va voir arriver des appendices beaucoup plus prononcés que ce que l’on a pu voir par le passé. C’est peut-être moins nécessaire qu’en MotoGP, mais au final, on gagne quand même du temps. On a souvent dit que Ducati pouvait avoir des ailerons car ils ont un moteur puissant et que de ce fait ils ont quand même une vitesse de pointe élevée. C’est totalement faux, nous savons aujourd’hui que la présence d’ailerons, même si ils ont une force de résistance assez élevée, ne diminue pas autant qu’on le croit la vitesse de pointe. Il y a un effet plus subtil sur l’ensemble de la moto. D’ailleurs personne n’a vu Ducati perdre de la vitesse de pointe de manière significative avec l’introduction de leurs ailerons. On peut donc conclure que le raisonnement qui dit que des ailerons ne servent à rien sur une Moto2 parce que la puissance est faible est certainement faux. Leur étude doit par contre être plus élaborée. C’est sans doute sur les véhicules les moins puissants que l’aérodynamique est plus difficile !
Mais les ailerons peuvent être utilisé à plusieurs fins. Comme en F1. Nous avions étudié des ailerons de queue pour la moto de Dominique Aegerter et Tom Lüthi et cela permettait d’aller plus vite. Nous avions réussi à travailler sur le sillage de la moto. De la façon dont cela était disposé, ce n’est sans doute toujours pas autorisé, mais nous avons quelques idées que nous allons certainement ressortir des dossiers… »

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