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Nous avons profité de l’événement majeur pour la vitesse française que constitue le Grand Prix de France MotoGP au Mans pour interviewer le Président de la Fédération Française de Motocyclisme, Sébastien Poirier.

L’occasion de dresser un état des lieux, entre le haut niveau qui brille au firmament avec Fabio Quartararo et Johann Zarco, et les actions entreprises pour renforcer les niveaux intermédiaires et les premiers échelons de la pyramide de la pratique de la moto de vitesse.


Président, on ne vous demande pas si vous allez bien, au lendemain du Grand Prix de France qui a permis aux Français de briller à nouveau. Pour un début de mandat, l’année 2021 se présente au mieux, en tout cas pour la vitesse française que nous suivons particulièrement, et ce malgré la situation sanitaire mondiale…

Sébastien Poirier : « oui, c’est vrai que c’est un début d’année un peu particulier, parce que d’un côté je dirais qu’on a la chance d’avoir des champions qui brillent et qui sont en train de faire exploser tous les compteurs et les records, nos deux champions en MotoGP, et d’un autre côté, sur la scène un peu plus franco-française, on est un peu plus dans la difficulté et dans un travail quotidien avec l’État et l’administration pour faire en sorte que l’on puisse reprendre nos compétitions dans les meilleures conditions possibles. C’est un petit peu ce côté schizophrénique de 2021 qu’il faut gérer, avec beaucoup de plaisir et de bonheur de voir la moto française et de façon générale les sports mécaniques briller, et de manière encore plus générale la France d’être représentée par nos deux champions, et en même temps d’être dans la difficulté dans le déploiement de nos différents calendriers, même si s’agissant de la vitesse on peut se satisfaire du fait qu’on a quand même réussi à pouvoir organiser et annoncer notre saison de Championnat de France Superbike en respectant le calendrier, même si les épreuves sont à huis clos. »

C’est encore le début de votre mandature de président, mais ce n’était pas le premier Grand Prix de France en tant que Président de la FFM. Comment avez-vous vécu cela ?

« En tant que directeur général, j’avais déjà la chance d’assister au Grand Prix de France qui constitue toujours un événement marqueur de chaque saison. Le GP de France de vitesse est là où le monde de la vitesse et le monde de la moto se retrouvent, et c’est l’événement où il faut être présent, donc j’ai déjà eu l’occasion d’assister à ce Grand prix. L’an passé, c’était ma première sortie entre guillemets officielle avec mon nouveau costume de président, puisque le Grand Prix était le lendemain de l’élection de la fédération. Donc cette fois, c’était mon deuxième Grand prix, et malheureusement un deuxième Grand Prix à huis clos, alors que c’est quelque chose que l’on souhaiterait partager avec tous les fans. Mais encore une fois, ne goûtons pas notre plaisir car je pense qu’on a aujourd’hui la chance d’avoir des pilotes français qui sont présents aux avant-postes dans la catégorie reine, et c’est un moment un peu unique où l’on partage avec eux la pression, le stress, les sensations et l’envie de gagner. C’est toujours une très belle épreuve et on a aussi la chance d’avoir deux beaux champions qui ont le sens de leur patrie, car j’ai eu l’occasion de les rencontrer samedi après-midi et on voit qu’il y a aussi une envie de participer à faire en sorte que le sport moto, à travers eux, soit valorisé et popularisé. Je pense qu’ils ont parfaitement conscience du rôle qu’ils jouent et qu’ils vont jouer dans l’avenir pour populariser la moto en France. L’audience de Canal+ a été vraiment incroyable et j’imagine que s’agissant de votre site il y a aussi eu un boost. En tout cas ce qui est certain, c’est qu’on réussit à travers eux à rendre populaire la moto et à faire en sorte qu’on soit un sport regardé et qu’on ne voit pas que le danger ou les blousons noirs et les bad boys, à travers leur image, sans être lisse car on a vraiment affaire à des gens qui ont une vraie personnalité et ça se ressent. Ce sont avant tout des vrais sportifs et de beaux sportifs. »

Si le haut de la pyramide se porte vraiment très bien, on sait que les niveaux en dessous nécessitent un vrai travail, et les nombreux communiqués de presse qui font état des actions entreprises le confirment. Peut-on détailler ces actions ?

« Que les communiqués de presse soient nombreux ne veut surtout pas dire que l’on ne faisait rien dans le passé : ce n’était pas du tout le cas ! Mais aujourd’hui, je pense qu’il faut vraiment prendre la mesure de la chance historique que nous avons d’avoir deux très beaux champions qui détrônent du podium les drapeaux espagnols. Ça, c’est un moment qui est vraiment fantastique pour nous, Fédération Française de Motos. Après, il faut que ce temps-là se traduise par une capacité à accueillir de nouveaux publics. Ça correspond aux éléments de campagne que j’avais eu l’occasion de déployer l’an passé, c’est-à-dire qu’il faut démocratiser et aller chercher de nouveaux licenciés et de nouveaux pratiquants, de la voie publique vers les circuits : tous les pilotes qui roulent aujourd’hui sur une sportive sur le périphérique parisien ont leur place sur un équipement sportif. Ils ont leur place, ils sont totalement légitimes à aller rouler sur un circuit de vitesse, et on voit qu’aujourd’hui il y a beaucoup d’hommes et de femmes qui font le choix de rouler sur des circuits de vitesse.

Et le deuxième axe consiste à aller récupérer des jeunes et faire en sorte que l’on puisse communiquer sur ” je débute la moto, de manière apaisée, dans une structure qui est pensée et avec un éducateur qui est formé à cela “. Donc aujourd’hui, on travaille beaucoup sur  un premier objectif qui concerne la structuration de la labellisation, c’est-à-dire que l’on revoit complètement nos critères de labellisation pour faire en sorte que toutes les structures qui existent aujourd’hui et qui ne sont pas labellisées puissent intégrer une labellisation fédérale. C’est l’objectif premier.

Le deuxième objectif sur lequel on est en train de travailler actuellement avec nos ligues régionales, c’est de pouvoir, à l’image de ce que l’on sait faire en motocross, développer et déployer des championnats de ligue en vitesse. Je pense qu’il est très important que l’on puisse proposer assez rapidement j’espère, dès 2022, un certain nombre de championnats de ligue sur le territoire. Cela limitera les frais de déplacement des parents et cela permettra aussi d’offrir du roulage à un nombre plus important de jeunes débutants. L’idée, c’est vraiment de faire en sorte qu’il y ait un step intermédiaire entre l’entraînement que l’on peut vivre sur un circuit, soit de karting soit sur un grand circuit, et la compétition. Aujourd’hui, il n’y a pas vraiment de niveau régional, sauf dans certaines ligues très très exceptionnelles, et je pense à ce que Gwen Giabbani a réussi à mettre en place en Normandie, ou à la situation en Occitanie. Mais au-delà de ça, il n’y a rien, donc l’idée est vraiment de structurer des championnats de ligue, et notre rôle à nous, fédération, c’est d’accompagner cette structuration pour faire en sorte que dans 3, 4, 5, 6 ans, il y ait des championnats de ligue qui vivent parfaitement leur vie, comme en motocross. Ça, c’est le projet.

Pour être très clair, le haut niveau c’est la pointe de la pyramide : plus la pyramide sera large en base, structurée et forte, plus elle sera belle et offrira un vrai rayonnement. C’est vraiment ça notre objectif : structurer la base, avec des écoles labellisées qui s’inscrivent dans un projet fédéral, puis développer le premier niveau, le premier échelon de compétition au niveau régional, et ensuite repositionner le championnat de France 25 Power qui doit être à mon avis là où il y a un maximum de bagarres, là où nos meilleurs jeunes se rencontrent et là où il faut de la bagarre. Le problème aujourd’hui est qu’il n’y a pas suffisamment de bagarres entre nos meilleurs jeunes, et c’est notamment la vraie différence avec l’Espagne et l’Italie. Donc quand nos jeunes passent le cap et souhaitent se rendre sur les courses à l’étranger, que ce soit dans le cadre de l’European Talent Cup ou du CEV, il leur manque cette expérience de la bagarre en paquet, d’où l’importance de récupérer de la masse pour qu’ils grandissent ensemble. C’est l’objectif, et il y a donc un travail de fond et de réunions assez intense qui doit maintenant se traduire par des actes. L’objectif est que fin 2021 il y ait déjà des annonces un peu plus structurelles, un peu plus visuelles et marquetées, pour que les parents qui souhaiteraient envoyer leurs petits dans une école ou dans un championnat de ligue sachent exactement ce qu’il faut faire et où il faut les mettre. »

Honnêtement, nous avons entrepris de matérialiser cette fameuse pyramide, et si le travail est relativement facile aux abords du sommet, plus on s’en éloigne et plus cela devient multiple et complexe : même pour nous, les premiers échelons ne sont pas vraiment faciles à trouver et comprendre. On s’imagine donc la tâche pour des parents qui ne sont pas du milieu et qui se posent la question ” mon enfant a envie de faire de la moto de vitesse, où est-ce que je vais commencer ? “

« C’est exactement ça ! C’est où, quand, comment et combien ça coûte ? Ce n’est pas plus compliqué que cela : ” je suis dans telle région, dans tel département, mon fils veut devenir le futur Fabio, je suis prêt à investir un petit peu d’argent sans que ce soit déraisonnable, comment on fait ? “. Il faut que l’on puisse très rapidement répondre à cette question-là, et ça passera par des écoles. Pourquoi des écoles, parce qu’on pourrait dire ” attendez, vous avez 1300 clubs, appelez un de vos 1300 clubs “. Moi je dis oui et non, parce qu’il y a des structures qui ont une appétence pour former des jeunes, qui ont une appétence pour les accueillir, et d’autres qui n’ont pas cette appétence, d’autres qui ouvrent seulement leur site de pratique, et je pense au motocross, et après c’est seulement ” débrouillez-vous et apprenez tout seul “.

Donc à mon avis il faut les diriger vers des structures qui aujourd’hui ont mis en place une logique d’entraînement, une récurrence dans les entraînements, et surtout ont des éducateurs qui aident à progresser. Donc en effet, le travail que vous faites correspond au bilan que l’on a tiré : aujourd’hui, entre le 25 Power, entre les écoles, entre le Promosport, il est difficile de s’y retrouver dans le parcours idéal. Donc on va définir la colonne vertébrale de ce que pourrait constituer un parcours-type, en sachant évidemment qu’il y a toujours des exceptions et qu’il y a toujours des passerelles, car il ne s’agit pas de figer les choses mêmes s’il y a une grande tendance, une grande colonne vertébrale, à l’image du motocross. En motocross, on sait par où on doit passer : entraînement, les championnats de ligue, 65cc, 85cc, il y a un Championnat de France Minivert qui est la référence. Donc il faut qu’entre 7 ans et 11 ans, on sache par où on doit passer, où est-ce qu’on est contrôlé, où est-ce qu’on est vu, où est-ce qu’il y a des sélections, et c’est là-dessus que l’on va écrire et repositionner très clairement de façon plus lisible, je pense qu’il ne faut pas que l’on ait peur d’être plus lisible et d’être dans une démarche marketing, il faut que l’on “markette”, entre guillemets, le parcours qui pour le moment n’est pas naturel.

Cela s’explique car vous avez aujourd’hui en vitesse beaucoup de catégories d’âge, donc je pense qu’il faut que l’on écrive une colonne vertébrale du haut niveau, du parcours d’excellence. Nous sommes en train de le faire, parce qu’en effet, quand on demande à un éducateur où est-ce qu’il faut être à huit ans en vitesse, la réponse est plus compliquée que lorsqu’on pose la même question à un éducateur en motocross. C’est donc le travail que l’on est en train de mettre en place, et on a vraiment bon espoir que les choses soient figées pour la rentrée. Ce n’est pas simple car il y a beaucoup d’acteurs et d’intervenants, mais en tout cas c’est ce qu’on va mettre en place sur les écoles, sur les filières, et j’espère que l’on aura des partenaires, que le monde de la moto nous aidera, et j’espère qu’il y aura aussi un côté Made in France concernant la filière d’excellence, car c’est également une différence avec l’Espagne et l’Italie : les partenaires y investissent dans leur filière.

Nous espérons donc, à travers notre projet, fédérer les grands acteurs français pour faire en sorte que l’on s’inscrive dans un temps long ou moyennement long. Le haut niveau n’est pas un temps court, c’est une construction qui s’inscrit sur un temps moyen et il ne faut pas brûler les étapes. Encore une fois, je prends souvent l’exemple de Fabio qui n’a pas eu un parcours linéaire. Par contre, on a toujours su que c’était un très très bon pilote, un pilote d’exception. Donc il faut aussi faire attention à ces parcours qui ne sont pas forcément linéaires, et accepter qu’un champion puisse avoir des hauts et des bas. »

Entre la base et le sommet de la pyramide, on a vu récemment beaucoup d’initiatives, à tel point qu’il y a eu un certain jour sous l’égide de la FFM où ça roulait en même temps en petits comités à Carole et à Perpignan…

« Tout à fait ! Ce que l’on a mis en place, et c’est une nouveauté 2021, ce sont deux collectifs, un collectifs 25 Power et un collectif Objectif Grand Prix. C’est nouveau et ce sont deux collectifs qui travaillent sur les jeunes, voire les très jeunes : on les rassemble régulièrement sur des sessions de roulage pour les faire progresser, créer de l’émulation et créer une dynamique de groupe, à l’image de ce que l’on a développé en motocross. En parallèle de cela, on a mis en place une wildcard en championnat du monde avec le GMT 94 et Yamaha dans la catégorie 600, et l’idée, en complément de cette wildcard, c’est d’organiser des rassemblements avec les meilleurs jeunes pilotes français de 600 pour qu’ils puissent eux aussi travailler et progresser ensemble, créer une émulation de groupe et marquer l’intérêt de la fédération auprès des plus jeunes. C’est pour cela que l’on a organisé cette séance d’entraînement réservée aux meilleurs jeunes 600 Challenger, pour les accompagner dans leur progression, voir avec eux ce dont ils ont besoin, et mieux les connaître pour mieux suivre leur parcours et leur progression. Il y aura deux stages cette année pour le collectif 600, en plus des différents stages pour les collectifs Objectif Grand Prix et 25 Power. »

Tout cela semble aller dans la bonne direction mais, parallèlement, une menace se précise sur la moto de vitesse, celle des mesures contre le bruit. On l’a vu récemment au sujet d’Albi mais ce n’est pas uniquement une problématique française puisque certains pays commencent même à vouloir interdire l’usage des motos sur certaines portions de leur territoire. Vous avez récemment réuni les acteurs majeurs de la moto française à ce sujet…

« Oui, les émissions sonores sont un vrai sujet. Nous, motards, on a envie d’entendre quelque chose quand on fait de la moto, et nos spectateurs ont également envie d’entendre quelque chose quand ils assistent à des courses de motos, mais par contre, tous les détracteurs et tous les voisins souhaitent moins de bruit. Il faut donc trouver un équilibre. On peut dire tout ce que l’on veut mais aujourd’hui le bruit constitue clairement une menace sur un certain nombre de circuits français, de motocross comme de vitesse. C’est un sujet, une menace, et c’est aussi un frein au développement : il faut être très conscient que le bruit constitue un frein à notre développement. Il ne s’agit pas pour nous de dire que demain les motos ne feront plus de bruit, bien au contraire, et c’est justement parce que je veux que les motos fassent encore du bruit demain qu’il faut qu’on le réglemente. Autrement, les politiques nous dirigeront naturellement vers l’électrique !

Donc l’objectif est de réduire nos émissions sonores à la source, et de travailler pour qu’on puisse définir une feuille de route, collectivement avec les constructeurs et les importateurs, pour que d’ici 4,5 ou six ans, je ne sais pas, on sache où est-ce que l’on sera. Au plus vite on aura réglé le problème du bruit et on aura réduit nos émissions sonores, au plus vite on sera libéré de cette menace et de cette épée de Damoclès, et au plus vite on pourra se déployer et se développer. Aujourd’hui, j’ai constitué un groupe de travail qui est présidé par Jean-Marc Desnue, qui est mon premier vice-président, pour réunir différents présidents de commissions et les différents importateurs–constructeurs. C’est un dossier très complexe mais on travaille sur ce sujet de fond et on souhaite sortir une feuille de route d’ici la fin de cette année. La FIM travaille également sur les championnats du monde, donc il y a aujourd’hui une prise en compte de la problématique qui est clairement exprimée, mais nous, FFM, nous allons définir une feuille de route propre à l’accès de nos circuits, parce qu’il faut absolument que l’on libère les circuits de cette épée de Damoclès. »

Globalement, êtes-vous un président optimiste ?

« Je suis d’un naturel foncièrement et fondamentalement optimiste, donc je suis optimiste sans aucune retenue ! Mais c’est justement parce que je suis optimiste que j’essaie de faire en sorte que, demain, on puisse toujours faire de la moto, et il faut préparer l’avenir. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas voir les menaces qui pèsent, la réalité, et l’environnement en fait partie. Le bruit constitue un enjeu majeur, et quand on voit que le coq, dans certaines petites communes de province, a été contesté dans son existence parce qu’il faisait trop de bruit, il ne faut surtout pas qu’on se sente en dehors du monde. On est dans un tout : il y a des gens qui nous adorent et nous soutiennent, et il y en a qui ne veulent plus nous voir, soit parce qu’on fait trop de bruit soit parce qu’on représente le monde d’avant, celui qui consomme de l’énergie fossile pour s’amuser. Nous ne devons pas être naïfs : il faut qu’on s’arme, qu’on travaille le sujet, et qu’on puisse dire ce qu’on est vraiment, avec des choses vraiment positives. Je crois vraiment aux valeurs que l’on véhicule, je pense vraiment que dans ce monde dégradé, ce monde qui a souffert ces derniers mois, la moto a beaucoup de choses à raconter et peut vraiment être cet espace de liberté, de souffle et de grand bol d’air. Il faut donc en profiter collectivement mais en ayant conscience que nous ne sommes pas seuls au monde et que nous devons tenir compte de la problématique environnementale et de la tranquillité publique. Nous ne devons pas avoir peur de l’avenir mais nous devons trouver des réponses collectivement. »

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