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Il était tout simplement impensable de ne pas réagir à la première victoire de l’équipe Tech3 en catégorie reine des Grands Prix sans recueillir les réactions, les impressions, les explications et les émotions de son patron, Hervé Poncharal.

L’homme est prolixe, on le sait, et c’est pourquoi nous publions cette très longue interview en deux parties, mais on peut être certain que la lecture de ses propos empreints d’une expérience de 40 ans n’est pas du temps perdu…

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Parlons technique. Faces à des adversaires qui sont là depuis plus de 40 ans, comment peut-on expliquer que KTM parvient à gagner avec une moto qui n’a pas 4 ans d’âge, qui plus est à plusieurs reprises cette année et sans bénéficier de conditions de course particulières ? Continue-t-on toujours sur le même rythme annuel de sept ou neuf châssis comme la première année, et travaille-t-on toujours 24 heures sur 24 ?

« Je dirais déjà que souvent l’élève dépasse le maître. Je pense aussi que le fait d’arriver et de partir de zéro, sans à priori, d’une feuille blanche, ça peut être un avantage, parce que tu as moins de datas et de tonnes d’informations qui font que tu restes dans ton petit chemin étroit. Je pense aussi qu’il y a une volonté d’y arriver, une implication de chaque personne dans ce projet, et une volonté d’avoir une vision à 360°, c’est-à-dire d’être totalement ouvert et de ne pas dire “ça, ça ne marchera jamais”. Une ouverture d’esprit incroyable ! »

« Par exemple, les Japonais sont très forts parce que leurs machines sont excessivement abouties, année après année. Ce sont à chaque fois les mêmes machines qui évoluent surtout les petits points qui étaient des points faibles et qui petit à petit se rapprochent de la perfection de ce qu’on peut faire avec le règlement. Mais chez KTM, comme vous l’avez dit ils ont fait au début des châssis en veux-tu en voilà, peut-être même trop, mais ils n’arrêtent jamais et ils ne se freinent jamais devant le moindre problème. Il y a toujours une envie de rebondir et de se dépasser. Je ne suis pas un grand technicien, mais de ce que je vois il y a aussi une rapidité de réaction qui est unique et particulier à cette usine. Par exemple, il y a deux ou trois petites choses qui étaient modifiables et améliorables, et on leur a dit à l’Autriche 1. Et le mercredi de l’Autriche 2, on avait toutes les pièces. Alors, ils ont pu le faire parce qu’on est européen et qu’on était en Autriche, mais c’est pour montrer que la réponse est ultra rapide. »

« D’autre part, le Test Team fonctionne vraiment et ils ont eu le nez creux en prenant certainement un des meilleurs pilotes qu’il peut y avoir comme pilote de développement, c’est-à-dire Dani Pedrosa, et ils l’utilisent à bloc ! Je ne sais pas ce que font les autres avec Pirro, Lorenzo ou Bradl, mais Dani roule quasiment en permanence. Et dès qu’il valide quelque chose comme étant un plus, on l’utilise ! »

« Dani a fait des tests et a trouvé un petit mieux au niveau comportement moteur, et le lundi le Grand Prix de République tchèque on l’a testé et cela a été validé par les pilotes, et en Autriche on roulait avec ! Les quatre pilotes ! Que ce soit dans les départements R&D ou Test Team, ils ont embauché des pointures dans tous les domaines, moteur, électronique, aérodynamique châssis et suspensions WP, et tout le monde bosse comme des fous ! Par exemple, Dani est au top. Il écoute ce que les pilotes de course lui disent, il a super feeling, et il a beau être petit et discret, quand ça ne va pas, il dit “ça ne va pas”. Et il le dit fort ! Tout ça fait que ça bouge énormément. »

« Je peux vous dire que quand on est arrivé l’année dernière, ou plutôt à Valence fin 2018, et qu’on a roulé pour la première fois sur la moto, mon équipe technique dirigée par Guy Coulon et Nicolas Goyon a penser que “là, ça ne va pas être facile”. Mais tout ce qu’on leur a dit, ils l’ont noté, et à chaque fois qu’on ressortait, la moto avait évolué. Alors évidemment, on n’est pas passé de Valence 2018 à août 2020 en un claquement de doigts, il y a eu beaucoup d’étapes, mais en tout cas ils notent tout et ils agissent. Parce que dans le passé, on a parfois eu l’impression que les choses étaient notées mais que jamais rien ne suivait concernant ces remarques ou ces idées. Ici, tout ce que tu dis est écouté et il n’y a jamais d’attitude hautaine et supérieure, où tu comprends qu’ils le notent parce qu’ils sont bien élevés mais qu’ils pensent “cause toujours” avant de l’archiver au fond d’une armoire. »

« Quelque part, ça tient peut-être aussi au caractère européen qui est plus aventureux et a peut-être moins besoin de process et de validations avant de se lancer. Quand on regarde la Ducati, elle a quand même été aussi à la pointe du développement et a amené beaucoup de choses qui ont été ensuite adoptées par les autres. Je pense qu’en Europe, il y a une manière voir les choses et une culture qui sont différentes : on est plus aventureux, plus prêt à prendre des risques et on a moins de freins. Des fois, cela peut être un handicap, je ne dis pas le contraire, mais en tout cas on avance. »

« Au début, ils nous ont dit “venez, on a besoin de deux pilotes de plus, mais on aura aussi besoin de vous, de votre expertise, et que Guy, Nico, Alex, Max et les autres vous nous disiez ce que vous trouvez qui ne va pas sur la moto”. Parfois, on leur disait “votre moto c’est un … ou c’est un…”, et ce n’était pas toujours très flatteur, mais jamais ils n’en ont pris ombrage ! Et d’ailleurs, quand Pit a fait son discours dimanche soir, il leur a dit “on ne remerciera jamais assez Tech3 de nous être rentré dedans et de parfois nous avoir dit que là, non ça n’allait pas”. »

« C’est un état d’esprit, une ouverture d’esprit. A partir du moment où tu fais confiance à des gens, que tu leur dis que tu as envie de bosser avec eux parce qu’ils t’amènent ça, ça et ça, tu les utilises. Et ils nous ont utilisé. Et ça, ce n’est pas le cas partout ! »

Par rapport à Honda, Yamaha et Suzuki, KTM reste quand même un petit constructeur de motos. A-t-elle les moyens, même avec son sponsor principal, de continuer cette politique très ambitieuse ?

« Il est certain que si vous prenez le chiffre d’affaires de Honda, de Suzuki, de Yamaha et de KTM, et l’investissement que ces constructeurs font dans le MotoGP, en pourcentage KTM défonce tout ce qui existe ! C’est une entreprise qui performe, c’est une entreprise qui est profitable, mais qui réinjecte une énorme partie de son chiffre d’affaires, et donc de ses potentiels bénéfices, dans la compétition. Beaucoup plus que les autres ! Donc c’est certain qu’il y a une très forte volonté d’y arriver et de se battre, et c’est d’ailleurs ce qui a fait qu’ils ont été un petit peu moqués au début, par ceux que quand ils ont annoncé qu’ils voulaient se battre avec Honda, Yamaha et Suzuki, tout le monde leur a dit qu’ils n’y arriveraient jamais car ils étaient beaucoup trop petits. »

« Mais on revient là à la réglementation technique telle qu’elle est, avec les coûts maxi sur certaines choses. Grâce à ça, ils ont la capacité d’investir et de dépenser les sommes qui sont nécessaires pour pouvoir être performants. La preuve ! C’est sûr que si demain il y avait une liberté totale sur tout un tas de paramètres de recherche et de développement technique, jamais KTM ne pourrait suivre un groupe comme Honda Motors si Honda Motors veut quadrupler ou quintupler ses investissements ! Mais c’est pour ça qu’aussi avec la Dorna, on a toujours eu ça en tête : si on veut avoir un beau championnat, il faut qu’il y ait un maximum de constructeurs, et comme tous les constructeurs n’ont pas les mêmes moyens, il faut que les constructeurs qui ont des moyens moins importants puissent venir et rester. Mais si ils restent, c’est parce qu’ils ont des résultats, sans ça ils ne vont pas dépenser de l’argent sans jamais avoir aucun retour sur investissement. Donc il y a beaucoup de gens qui pensent que KTM, avec son sponsor Red Bull, a des budgets faramineux et illimités, mais c’est totalement faux ! Red Bull est une boîte hyper performante, mais c’est une boîte où les gens savent compter et c’est une boîte qui dépense ce qu’il faut dépenser par rapport à chaque domaine. Ils connaissent les montants et ils ne vont pas dépenser 10 fois plus que les autres. C’est clair. »

« Donc les budgets de Red Bull KTM ne sont pas extensibles à l’infini et ne sont pas énormes, mais aujourd’hui Red Bull et KTM ensemble dépensent ce qu’il faut dépenser pour être performant, et grâce à cette réglementation technique qui fait que l’on est quand même limité, sans même parler de la crise financière actuelle et à venir qui a tout gelé pour 2020 et 2021, cela permet d’espérer passer ce moment difficile. Tant qu’on aura la Dorna et Carmelo à sa tête, avec tous les gens qui travaillent avec lui et en l’occurrence aussi moi, on fera en sorte que les constructeurs comme KTM, comme Aprilia et comme Ducati, qui ne sont pas des monstres comme Honda, Yamaha et Suzuki, puissent participer au MotoGP et être compétitifs. »

« D’ailleurs, si vous regardez ce qui se passe chez nos amis et cousins de la Formule 1, toutes les décisions qui sont prises concernant le futur se rapprochent de ce qu’on a aujourd’hui en MotoGP : c’est-à-dire réduire la voilure sur les développements techniques pour éviter la course à l’armement et éviter des budgets que plus personne ne peut se payer, à part peut-être Mercedes, et augmenter le niveau de support technique pour les équipes indépendantes. »

Pour sortir du cadre Tech3 et KTM, on a commencé l’année en se demandant si on allait pouvoir éviter une saison blanche, et on se retrouve pour le moment, croisons les doigts, avec un des plus beaux championnats de ces dernières années. Comment analysez-vous cela ?

« D’abord, on a eu la chance ! Il ne faut jamais penser qu’on est surpuissant. On a eu de la chance mais aussi on a eu de la chance d’avoir la Dorna comme promoteur, et je pèse mes mots car je sais que dans vos lecteurs il y a des gens qui ne pensent pas tous la même chose que moi. La Dorna a été capable d’investir de l’argent à perte et, en travaillant main dans la main avec les constructeurs, la MSMA, la FIM et l’IRTA, a réussi à écrire un protocole sanitaire qui soit suffisamment sérieux et viable pour convaincre des organisateurs et des pays de nous écouter. Et ce n’était pas gagné du tout ! Vous pouvez imaginer que pour tous les endroits où on va, ce n’est pas la chose la plus importante du monde que d’avoir une course de MotoGP ! Et il y a certains sports qui sont peut-être plus importants que nous qui se sont moins bien débrouillés : la Liga vient de recommencer alors qu’on a recommencé mi-juillet. On a donc réussi à faire ce protocole qui a été signé et agréé par tous les acteurs, FIM, Dorna, MSMA et IRTA, qui a été accepté par les organisateurs qui croient au MotoGP, et qui croient en la capacité de la Dorna d’éviter de créer des foyers de dissémination du virus. Et jusqu’à présent, on touche du bois, on suit le calendrier tel qu’il a été établi. Malheureusement, on voit que l’épidémie recommence à flamber et on ne peut jamais faire des prévisions 100 % fiables sur ce qui va se passer d’ici la fin novembre, mais en tout cas pour le moment on affecte les courses qui étaient sur le calendrier. On aura une évolution sur le suivi des médias pour Misano, où on aura également normalement à peu près 10 000 spectateurs. Tout ça, c’est quand même remarquable et hyper appréciable par rapport à notre état d’esprit et aux perspectives qui étaient les nôtres au mois d’avril quand on en a parlé ensemble. »

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