pub

Lors de cette nouvelle série d’articles, dont nous ne connaissons par encore le nombre exact, nous allons essayer de retracer ce qui a abouti à la création de l’IRTA (International Racing Team Association), une des quatre entités qui gèrent aujourd’hui le MotoGP avec Dorna, la FIM et la MSMA.


Durant les années 70 et 80, les compétitions motocyclistes ont connu une période particulièrement faste résumée sous l’appellation Continental Circus et caractérisée entre autre par la pléthore de pilotes qui s’alignaient alors sur les grilles de départ.

Mais derrière les exploits extraordinaires réalisés par ces champions des temps modernes se cachaient souvent, bien trop souvent, des drames qui venaient endeuiller le paddock.

À quand remonte celui qui pourrait marquer le déclenchement d’une nouvelle ère ? Difficile de le dire car la compétition motocycliste a toujours comporté sa part de risque et son quota d’accidents mortels, mais disons que Monza 1973, avec l’hécatombe qui a coûté la vie à Jarno Saarinen et Renzo Pasolini a sans aucun doute fortement marqué les esprits …

Le choc de Monza, avec ses 19 pilotes 250cc impliqués, fut immense. Monza était alors un des circuits les plus rapides du monde, composé de cinq grandes courbes et de longues lignes droites. Pas de chicanes, pas d’épingles, mais des rails de sécurité à moins de cinq mètres de la piste.

« Plus jamais ça » a-t-on dit à l’époque, et quelques mesures furent prises, telles la création du tour de reconnaissance avant le départ et une protection accrue des rails, puis leur élimination progressive, mais cela pris du temps, beaucoup de temps, et seule la création de circuits modernes permis de se passer des circuits naturels et d’augmenter le niveau de sécurité.

À cette époque, les pilotes, privés ou professionnels, n’avaient que deux interlocuteurs omni-puissants, la FIM et les organisateurs de course, les deux se souciant très peu de la sécurité des pilotes et des conditions financières ou pratiques dans lesquelles ces derniers courraient : le spectacle fonctionnait bien, donc soit vous y participiez, soit vous alliez voir ailleurs…

En conséquence, le championnat du monde se déroulait sur nombre de circuits n’offrant aucune sécurité autre que quelques bottes de paille mises ici et là pour éviter les troncs d’arbres, les poteaux téléphoniques, les trottoirs et les nids-de-poule, quand ce n’étaient pas des rails de chemin de fer… à l’image d’Imatra, d’Opatija, de Nogaro, de Brno, de l’ancien Nürburgring, etc.

Le mythique film « Le Cheval de fer », de Pierre-William Glenn, en est un parfait exemple avec les explications du regretté Michel Rougerie:

https://youtu.be/q3rB2Wth3OE

Circuits plus que dangereux, paddock sans aucune facilité de base, primes de départ ridicules, au fil des ans, le mécontentement ne cesse de monter chez les pilotes, y compris chez les privés qui, de plus, ne savent parfois pas d’une journée à l’autre s’ils vont pouvoir courir alors qu’ils sont sur place…

Il faut attendre 1979 et la domination de Kenny Roberts en catégorie reine pour que celui-ci prenne vraiment les choses en main, avec Barry Sheene (représentant des coureurs depuis 1978) dans une moindre mesure, et commence à sérieusement se plaindre. Course après course, la tension monte entre l’Américain et la FIM, le premier finissant par annoncer sa volonté de créer un nouveau championnat, les World Series, avec uniquement des 250cc et des 500c, la seconde répondant en ne comptant pas les points marqués par le pilote Yamaha avant parfois de revenir en arrière.

 

Tout commence dans l’hiver 78/79 quand Kenny Roberts subit des blessures au dos et à la rate en testant sa nouvelle Yamaha 0W45  au Japon.

« Je me souviens m’être allongé là, en me disant « Je suis foutu ». Mon dos était douloureux. Pendant trois jours, j’ai cru que j’allais mourir. Ils ne me donnaient pas d’anti-douleur parce que cela aurait ralenti la guérison. Puis ils ont dit « Nous allons vous opérer ». J’ai dit « Pas question, je rentre en Amérique.Ils ont dit : « Vous n’y arriverez pas. » Eh bien, j’étais mort parce que d’après ce que je voyais, ils n’avaient pas de bonnes installations médicales. Je me souviens avoir mis le masque à gaz sur moi pour m’endormir et penser « Ça y est, je ne me réveillerai pas ».  J’ai été très surpris quand je me suis réveillé. »

Ses blessures lui font manquer le Grand Prix du Venezuela avant de remporter la deuxième manche en Autriche, suivie d’une deuxième place en Allemagne, et d’une autre victoire en Italie, au Grand Prix des nations à Imola. Au Grand Prix suivant, en Espagne, les organisateurs refusent de lui verser sa prime de départ (un classique en Espagne !), sachant que King Kenny doit courir pour maintenir son avance. Le « nain jaune » gagne la course mais n’accepte pas le trophée du vainqueur en disant au président de la FIM Rodil del Valle: « Non, gardez-le. Peut-être que vous pouvez le vendre. Je comprends que vous ayez besoin d’argent. » La FIM lui retire d’abord ses points avant d’accorder un sursis.

 

Au Grand Prix de Belgique, en juillet, le champion du monde en titre et Virginio Ferrari, le leader du championnat, refusent de courir sur le nouveau tracé du circuit de Spa dont le revêtement est imbibé de gasoil. Ils rallient à leur cause 80 pilotes habituels du Continental Circus et seuls quelques pilotes opportunistes de second plan acceptent de prendre le départ. Encore une fois, la FIM répond en suspendant d’abord Roberts et Ferrari avant de remplacer cette suspension par une amende. Barry Sheene demande l’annulation des points mais la FIM décide que la course compterait pour le championnat.

L’événement met toutefois en évidence l’animosité particulière entre Kenny Roberts et la FIM concernant la sécurité et les primes de départ, malgré, ou à cause, du travail effectué par Barry Sheene dans ce sens depuis 78 : question sécurité, le Britannique avait demandé que la présence d’un hélicoptère soit obligatoire à chaque GP et avait aussi soulevé les questions des primes de départ qui n’avaient pas été augmentées au cours des trois dernières années et n’étaient pas toujours versées.

 

Trois Grands Prix plus tard, le 11 août à Silverstone, un groupe de pilotes emmenés par Kenny Roberts, Barry Sheene, Virginio Ferrari, Wil Hartog et Johnny Cecotto convoque la presse à une conférence pour annoncer son intention de renoncer au Championnat du monde de 1980 et de créer un championnat organisé et géré par les pilotes eux-mêmes : les World Series.

Ce fut une véritable révolution et la FIM, qui voit son monopole mis en cause, réagit fermement en commençant par menacer, tout d’abord les pilotes qui perdraient leur licence FIM, mais surtout, à travers les fédérations nationales, les organisateurs susceptibles d’accueillir des courses World Series en les menaçant de suspension de l’organisation des compétitions FIM.

Mais étant donné la détermination des coureurs et l’importance des noms impliqués, la FIM annonce l’augmentation des primes de départ et d’arrivée, avec des indemnités pour les coureurs non qualifiés, lors de son Congrès tenu à Montreux (Suisse) en octobre.

L’Américain et sa Yamaha remportent finalement un nouveau titre en 500cc devant une ribambelle de Suzuki, mais celui-ci n’en démord pas et entend abandonner définitivement les Grands Prix dès l’année suivante, au profit des World Series, la compétition qu’il entend créer avec l’aide de l’avocat américain  Mark McCormack de IMG (International Management Group) pour briser le monopole de la FIM !

 

 

Le projet est officiellement présenté à la presse le 14 décembre 1979 à Londres par Barry Coleman, directeur adjoint de World Series Racing Ltd., en présence de Kenny Roberts et Barry Sheene.

  • Les World Series comporteront deux catégories: F-1 (500cc) et F-2 (250cc)
  • Un calendrier provisoire est annoncé, comprenant 8 dates sur les circuits d’Imola, Donington, Laguna Seca, Le Mans, Monza, Zandvoort, Salzbourg et Zolder. On parle également du Mexique et du Japon.
  • Le plateau des pilotes sera vendu aux organisateurs pour la somme de 800 000 francs, permettant ainsi aux pilotes, en particulier privés, d’être moins tributaires des sponsors. Tout pilote engagé, pour le simple fait de finir dans les vingt premiers, aura un revenu garanti de mille dollars.

 

Ces grandes lignes directrices apparaissent toutefois aussi ambitieuse que floues et il s’avérera après coup que Kenny Roberts n’avait d’une part pas vraiment conscience de l’ampleur d’un tel projet, et d’autre part qu’il s’était fait quelque peu mener en bateau, ou déborder, par les gens censés l’aider.

Au départ, une quarantaine de pilotes dont Kenny Roberts, Barry Sheene, Virginio Ferrari, Kork Ballington, Jon Ekerold, Patrick Fernandez, Gregg Hansford, Wil Hartog, Marco Lucchinelli, Randy Mamola, Patrick Pons,  Christian Sarron,  Freddie Spencer et Franco Uncini s’étaient déclarés en faveur des World Series.

Chez les constructeurs, Yamaha, Suzuki et Kawasaki étaient réceptifs aux nouvelles propositions en raison de l’intérêt de leurs pilotes, dont la plupart avaient signé pour les World Series. A l’inverse, Honda était la seule marque qui dès le premier instant était du côté de la FIM et de son président, Nicolás Rodil del Valle.

Au fil des semaines, les hommes d’IMG s’aperçoivent que l’entreprise est bien plus difficile que prévue, et le projet se délite peu à peu avec des circuits qui ne signent pas et des pilotes qui se retirent progressivement, en particulier après la défection de Wil Hartog, lassé par le flou du projet et qui entraîne avec lui Jack Middelburg, Boet Van Dulmen et Graziano Rossi.

Au final, le projet échoue et, en janvier, Barry Coleman a reconnaît que la World Series ne se tiendra pas en 1980«Nous avons manqué de temps et nous avons décidé d’attendre une autre année avant de lancer les World Series. Mais nous sommes dans une position très forte. Nous avons obligé la FIM à apporter de nombreuses modifications au système de primes, ce qu’elle n’aurait pas envisagé s’il n’y avait pas eu l’alternative offerte par les World Series. Nous avons perdu une bataille, mais pas la guerre. »

Kenny Roberts se souvient, en 2017 : « Les anciens promoteurs et la FIM nous ont traités comme de la merde. C’était simplement mauvais, car ils tenaient tout le monde par les couilles. Nous avons été suffisamment proches de créer les World Series pour leur faire peur. Après cela, c’était comme le paradis. Alors que nous ne pouvions pas parler de sécurité aux promoteurs, nous avons inversé la situation. Et ils ont augmenté les primes de 300%, et comme tout le monde savait ce qu’ils payaient, vous n’aviez donc pas eu à jouer avec les couilles du promoteur pour obtenir 500 dollars de plus. Toute les choses mafieuses ont disparu. Maintenant, c’est facile, les pilotes vont parler à Carmelo (Ezpeleta, PDG de Dorna, l’actuel promoteur du MotoGP) et c’est réglé. À l’époque, mon dieu, c’était un cauchemar ! Beaucoup de gens ne savaient pas à quel point c’était une réussite. Je ne l’ai pas fait pour de l’argent, j’avais plus à perdre que quiconque. Je l’ai fait parce que je pensais que c’était bien, parce que le sport en avait besoin. »

Malgré ses déclarations précédentes (« en aucun cas je ne participerai à un Grand Prix, et si jamais par malchance les World Series ne pouvaient avoir lieu, je resterai aux États-Unis »), Kenny Roberts revient en Grand Prix en 1980, mais il en a gros sur la patate…

« J’avais tellement investi dans les World Series : argent, temps, efforts, rencontrer Bernie et toutes ces personnes. Alors, quand nous sommes revenus à la compétition, à Misano, j’étais prêt à boire. Après la course, ils m’ont donné du champagne sur la piste et je suis rentré à l’hôtel sur la galerie de toit de la voiture. Les gars ont essayé de me faire descendre du toit mais ils n’ont pas pu. »

Le pilote Yamaha International remporte un nouveau titre en 1980 mais ne renonce pas à défendre les intérêts des pilotes pour autant. L’avenir le montrera…

 

A suivre ici….

Crédit : FIM, Mat Oxley, Moto Journal, Facebook, etc.