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De façon très régulière, et depuis maintenant deux années, Hervé Poncharal nous fait l’honneur de nous partager son point de vue après chaque Grand Prix (Voir ici).

Écouter ses propos qui sont le fruit d’une expérience de 40 ans est toujours un plaisir, d’autant que l’homme n’a pas sa langue dans la poche. Nous vous partageons ainsi ses émotions, qui peuvent fluctuer au fil des épreuves de la déception à la plus grande des joies, sans pour autant occulter les petits grincements de dents passagers ou, au contraire, les envolées qui vont bien au-delà du sport…
Et nous l’en remercions grandement !


Nous nous présentons maintenant au Grand Prix de France après un week-end à Jerez éminemment positif, puisque Johann Zarco y a continué d’aligner les départs en première ligne et les arrivées dans les points.

Hervé Poncharal : « alors c’est vrai que l’on n’aime pas trop parler de ce genre de statistiques, surtout les arrivées dans les points. J’en parlais tout à l’heure aux membres de l’équipe, et les journalistes font leur boulot et je ne leur en veux pas du tout, et c’est vrai que cela fait maintenant 21 courses que Johann termine dans les points. Je ne connais pas exactement les statistiques mais cela commence à faire partie des bons scores, et cela veut dire que depuis qu’il a commencé sa carrière en MotoGP, à part le petit faux pas de sa première course, il a toujours rallié l’arrivée dans les 15 premiers. On en est très très heureux, tout comme ses scores en qualification. C’est fabuleux, c’est fantastique ! Maintenant, ça se passe juste avant d’arriver au Grand Prix de France donc, évidemment, et encore une fois je ne peux pas les en blâmer, mais tous les supporters, les médias et même nous, on a envie que la série continue. Mais ce n’est pas parce qu’on a fait ces 8 premières lignes et ces 21 courses qu’on va faire automatiquement aussi bien au Grand Prix de France. A chaque course, il faut remettre tout à zéro. Chaque course est une nouvelle aventure, on le sait. On ne connaît pas les paramètres météo. On sait que l’année dernière les Yamaha avaient été très bien pendant tout le week-end au Mans, mais on a vu que la Ducati avait énormément progressé, que la Honda est une machine beaucoup plus aboutie et mieux équilibrée que l’année dernière, que la Suzuki vient de faire 3 podiums d’affilée… donc voilà : on repart au combat, mais on repart à zéro vendredi matin au Grand Prix de France.
Ceci-dit, on le dit à chaque fois que l’on se parle, mais c’est vrai que ce que fait Johann en ce moment, c’est fabuleux ! Il arrive à chaque fois sur le Grand Prix avec une attitude de battant, de guerrier, hyper positif, avec une envie vraiment très très forte, avec une attitude toujours très humble mais déterminée. Il bosse énormément avec son équipe. Dès le mercredi, il est sur le circuit à faire ses tours de piste à pieds, à regarder et consulter les datas, à regarder les courses précédentes, notamment celles du Mans de l’année dernière. Donc c’est quelqu’un qui travaille énormément, qui ne s’endormira jamais sur ses lauriers, et c’est ce qui nous rend très fiers, très heureux, et aussi optimistes sur la suite du championnat ».

Rebondissons donc sur le championnat. Vous y êtes classés 2e. Cela vous était-il déjà arrivé en catégorie reine ?

« Il faudrait vérifier, mais à 99,9 %, cela ne nous est jamais arrivé. On a déjà fini 2e d’une course avec Cal Crutchlow, notamment au Mans en 2013, mais jamais au championnat. Après deux courses, Crutchlow était en tête et nous étions 3e. Maintenant, cela fait 4 courses et il en reste encore 15, mais ça commence à payer car on peut commencer à cerner les forces en présence, les forces et les faiblesses de tout un chacun. Ça me rend très très très fier ! Car même si le regard que les autres portent sur nous n’est pas ce qui nous importe en premier, j’entendais souvent « oui mais là c’est un coup de chance »,  » oui mais là c’est parce qu’il avait des pneus tendres », etc. Alors que là, et je pense que Márquez l’a bien souligné dans les commentaires après course en disant que dans ses adversaires principaux il y avait Andrea Dovizioso mais aussi Johann Zarco. Il a aussi dit qu’il ne comprenait pas comment Yamaha avait pu laisser partir et perdre un pilote de talent comme Johann Zarco. Donc il y a vraiment maintenant, de la part de l’intégralité des observateurs, que ce soit médias, sponsors ou chefs d’équipe, un respect pour ce que fait Johann, et maintenant une certitude que ce n’est pas, comme on nous le disait l’année dernière, le fruit du hasard parce qu’on prenait des pneus plus tendres que les autres ou parce que la Yamaha vieux modèle était plus performante que la nouvelle, etc., etc. Aujourd’hui, les Honda sont des machines ultra homogènes, les Ducati également, les Suzuki reviennent, et malgré tout, on se retrouve à faire des résultats aussi bons voir un peu mieux que l’année dernière où on disait qu’on le faisait parce que la Yamaha était la plus équilibrée. La Yamaha, c’est une très bonne moto, encore faut-il savoir s’en servir en tant que pilote, et encore faut-il avoir une équipe technique qui comprend bien la moto et qui comprend bien les désirs et les besoins de son pilote. Il y a 4 Yamaha sur la grille, et à part le Texas, la #5 noire est toujours devant… »

Peut-on dire que c’est d’autant plus du bel ouvrage que les choses ne sont pas faciles pour autant. À Jerez, le vendredi n’a pas été facile, et même le dimanche, nous croyons savoir que vous vous inquiétiez un petit peu pour le pneu avant médium…

« Oui ! Aucun week-end n’est facile ! On a eu des doutes en Argentine, on a eu des difficultés et des doutes au Texas, et à Jerez on a eu une FP4 compliquée. On sait que le choix des pneumatiques est un choix crucial, et donc on est toujours partagé entre essayer le plus de types de gommes possible, ou en essayer un peu moins et faire la distance de course avec chacune des gommes qu’on essaye. Et on ne peut pas faire le tout. À Jerez, on avait décidé de faire l’impasse sur les pneus durs, que ce soit à l’avant et à l’arrière, et on a vu que beaucoup, en FP4 et même en qualif, les ont utilisés. Donc quand on a vu la piste qui montait en température pour frôler les 50° dimanche, c’est vrai que sur la grille je me faisais un peu du souci pour la 2e partie de la course, parce que l’on sait que Jerez est un circuit où on a beaucoup de patinage et où la 2e partie de la course est très très difficile à gérer quand on a ces températures au sol. J’ai été un peu rassuré quand j’ai vu que Márquez, qui avait prévu de partir en pneu dur, a décidé quasiment à la dernière minute sur la grille de changer son pneu arrière pour un médium.
Et puis il y a Johann, course après course. Je vous donne un exemple. Il a galéré au début de la Q2. Enfin, galéré, disons qu’il n’était pas assez vite et quand il s’est arrêté, juste avant de faire son dernier run, il nous a dit « je ne sais pas comment je vais pouvoir améliorer ». Et à ce moment-là, il était en 3e ligne. Il est ressorti, et là il nous a fait claquer un 3e temps ! Quand il est revenu, on lui a demandé, et ça, c’est quelque chose qu’il a vraiment de particulièrement fort et peut-être de plus que pas mal d’autres pilotes, c’est que quand il sent qu’il est au bout du package technique au niveau de la performance, il va travailler sur lui. Et il nous a dit que pendant son tour de qualif, il a modifié sa manière de piloter pour pouvoir justement être un peu moins pénalisé dans les secteurs où il était un peu moins bon. Et ça a payé tout de suite ! Et ça, c’est l’apanage des grands, et il y a même des grands qui ne sont pas capables de le faire. Márquez, lui oui, il arrive à se transcender, mais il faut être à l’écoute totale de sa moto, en osmose avec sa moto. Et c’est ce qu’il nous avait dit après les essais à Buriram : il comprend mieux ce dont la moto a besoin. Et il pilote différemment de 2017, et il la règle différemment de 2017, notamment en électronique et en moteur. Au départ, vous avez toujours envie d’avoir beaucoup beaucoup de puissance, mais parfois, ce n’est peut-être pas ce dont vous avez besoin. Il a fait un petit clin d’œil en disant qu’il était à 93 % de la compréhension de sa machine, mais ça veut dire qu’il évolue et qu’il n’est pas loin d’être vraiment en osmose pour comprendre ce qu’il fallait faire, en fonction des pistes et de l’adhérence. Et ce qui est bluffant, c’est qu’il arrive presque toujours à retomber sur ce qu’il faut faire et comment régler sa moto pour être performant le jour J ».

Ça rejoint exactement ce que dit Marc Márquez à propos de son bras oscillant en carbone : « si tu pilotes pareil, tu vas pareil. Il faut comprendre ce dont la moto a besoin pour aller plus vite » (Voir ici).

« Oui, oui. Je suis tout à fait d’accord avec Marc. De toute façon, j’ai un respect énorme pour Marc. Aujourd’hui, c’est le pilote le plus fort et le plus complet. Ça me fait d’ailleurs très très plaisir qu’il considère Johann comme un de ses adversaires les plus sérieux, et d’ailleurs il y a un vrai respect et une vraie amitié entre les deux. Ça se voit quand ils sont tous les deux dans le parc fermé : ils se regardent, ils se prennent dans les bras ou ils se tapent dans la main. C’est clair que d’une façon générale, je suis très très fier de ce que fait notre pilote avec notre équipe technique. Il y a un vrai travail d’équipe et une vraie compréhension. Johann comprend, écoute et vit avec sa moto. Et notre équipe arrive à comprendre ce que lui dit Johann pour pouvoir lui donner ce dont il a besoin. Ça, ce sont des niveaux de compréhension qui sont rarement atteignables, et que là, ils ont atteint. Ce sont de très beaux moments. « Le bel ouvrage », ça me va bien aussi parce que ce n’est pas toujours le cas. Parfois, vous avez des pilotes qui sont très très bons mais avec qui vous avez du mal à communiquer, vous avez du mal à comprendre ce dont ils ont besoin, et eux, ils ont du mal à vous expliquer ce dont ils ont besoin, et parfois du mal à comprendre ce dont la moto a besoin pour pouvoir aller encore plus vite. Et là, tous ces paramètres là, on arrive à les comprendre et à les gérer pour pouvoir faire en sorte d’être aussi performants que l’on est sur la piste.
Et c’est aussi pour cela que cela me rend d’autant plus triste, de savoir qu’à la fin de l’année on va casser ce groupe et cette dynamique. Je le sais, je le comprends, je vous l’ai expliqué : on est l’équipe junior et j’adhère à ce projet. Je l’ai décidé et j’ai signé. Mais c’est clair qu’on aurait tellement aimé transporter tout ça chez KTM pour pouvoir tous ensemble relever le challenge ! Bon, c’est comme ça, mais c’est vrai que jour après jour, séance après séance, course après course, tout le monde dans l’équipe a un petit peu ce feeling de tristesse. Ça aurait été tellement beau de relever ce défi tous ensemble… Les moments que l’on vit sont tellement beaux que l’on a envie de les faire durer. Comme disait Bashung, « et que durent les moments doux ! ». C’était beau, ça !
Mais voilà, je comprends, je l’accepte : il y a un challenge global de KTM avec Johann Zarco et avec Tech3, qui sont chacun dans l’usine mais à des endroits différents. Et on va tous essayer de le relever ensemble, mais c’est vrai que vous avez envie de faire durer ces moments qui sont des moments de grâce, et qui sont rares dans la vie.
Bien sûr, si Johann fait des super résultats l’année prochaine, on sera excessivement heureux pour lui et pour KTM, d’autant que chacun apportera sa pierre à l’édifice. Mais il n’en reste pas moins quand vous n’êtes pas ensemble, ce n’est pas la même chose. On ne sera pas là à sauter dans ses bras au parc fermé, on ne sera pas là à l’applaudir après la course et aller manger un bout le soir en rigolant. Parce que on ne sera plus son équipe. On sera son équipe de 2017 et de 2018, et on restera toujours à sa disposition pour avoir des échanges, donner des conseils et avoir des discussions techniques, et Dieu sait que je suis sûr qu’il y en aura, mais ce ne sera plus tout à fait pareil ».

 

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