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Lors des interviews exclusives que Hervé Poncharal nous accorde à chaque Grand Prix, le factuel se teinte souvent d’émotion, au gré des résultats. 

Et des émotions, ses deux pilotes lui en procurent toujours, journées après journées, parfois radieuses, parfois plus sombres. Malgré son expérience, Hervé Poncharal vit toujours la course avec la plus grande des passions, et c’est toujours un grand plaisir que d’en ressentir ne serait-ce qu’un peu de ses effets par procuration…


Après la déception bien imaginable du Grand Prix de la République tchèque, et entre deux courses « Back to Back », nous avons jugé peu opportun l’idée d’en faire le débriefing avec vous à chaud. Mais après un Grand Prix d’Autriche où Johann Zarco a fait une très solide course sans commettre la moindre faute, il est peut-être temps de reparler de ces deux courses…

Hervé Poncharal : « comme vous l’aviez bien souligné en faisant un clin d’œil une interview précédente dans laquelle je disais que je pouvais être très haut à un moment et très bas quelques minutes après, c’est vrai que dimanche après-midi et dimanche soir, après la course en République tchèque, j’étais à la fois très déçu, très triste et en colère. Enfin, en colère contre le sort plus qu’autre chose. Et ce n’est pas retombé au fil des heures car plus on dépouillait les chronos, plus on analysait avec exactitude le temps perdu avec l’arrêt inutile au stand, plus on s’est aperçu qu’il y avait une grosse perf, au minimum une deuxième place, qui s’était envolée. Et puis après, j’ai bien évidemment discuté avec l’équipe technique, pour constater qu’il n’y avait pas eu d’erreur. À part sans doute l’équipe de Márquez, tout le monde avait adopté ce qui est une sorte d’habitude, à savoir préparer la deuxième moto pour les mêmes conditions que la première, c’est-à-dire ici pour la pluie, au cas où il survienne un problème dans le tour de chauffe. Quand on était sur la grille, il y a eu une petite averse et personne n’a pris la décision de partir en slicks. Comme les autres, l’équipe technique de Folger a suivi les images à la télé du tour de chauffe. Nicolas Goyon, qui en est le patron, a vu que les trajectoires séchaient et a tout de suite ordonné de configurer la deuxième moto pour le sec. Le problème, c’est que pour mettre une moto en conditions de pluie pour le sec, il faut changer les réglages internes de la fourche, les réglages de l’amortisseur arrière voire l’amortisseur lui-même, parfois il faut changer le link (renvoi de biellette) de la suspension arrière, changer les cartographies moteur, et bien évidemment changer les roues et les freins, mais même si c’est ce que l’on voit le plus, ce n’est pas le plus long. Tout ça peut prendre jusqu’à une petite dizaine de minutes.

Folger est rentré avec Márquez à un moment qui était le bon, mais je pense que Márquez avait été le seul à avoir dit à son équipe sur la grille de mettre sa deuxième moto en sec. Et c’était très couillu, très courageux, il aime prendre des risques et il le dit à chaque fois et ça paye souvent, parce que si c’était resté mouillé plus longtemps que prévu et qu’il avait eu un problème, il aurait tout perdu. N’empêche que quand il est rentré, sa moto pour le sec était prête. Et quand Folger est rentré en même temps, il a totalement pris au dépourvu l’équipe technique qui ne s’y attendait pas car il n’avait rien dit sur la grille et fait aucun petit signe au seul passage devant le muret qu’il a fait. L’équipe était en train de terminer la moto, et c’était peut-être une affaire de 30 ou 40 secondes, mais il ne voulait pas le faire attendre et lui ont dit de refaire un tour.

Mais quand tu sais tout ça, tu ne peux pas les blâmer. Je leur ai d’abord dit que j’étais sur le cul que la moto ne soit pas prête mais c’est vrai que des fois, tu oublies que ça prend autant de temps. Donc suite à ça, j’ai accepté la proposition de Nicolas de ne plus suivre le protocole habituel, et quand ce sera dans des conditions un peu similaires, on mettra la deuxième moto différente de la première. J’ai donc donné mon aval et si on rencontre un problème dans le tour de chauffe, je prends le risque qu’on passe pour des cons. J’ai donné le feu vert pour le futur. Après, des conditions comme ça, c’est rarissime.
Voilà, même si on n’a pas été les seuls à subir cela, c’est pour nous d’autant plus rageant que c’était une course où on pouvait faire podium, de manière quasi certaine. Maintenant, c’est fini, mais cette expérience servira à tout le monde.

Johann, lui, a fait la chose inverse et il m’a dit qu’il était tout à son excitation de se battre en tête de la course. Quand il a vu Rossi qui rentrait, il était content d’être en tête, mais quand Márquez est revenu, il a compris. C’est un pilote de course, et en tant que tel, tu peux parfois oublier la stratégie car tu es impliqué dans la bagarre en tête, qui plus est avec l’idole. Donc oui, on a fait un résultat mitigé mais on a déjà connu bien pire. Donc on avait un peu le moral dans les chaussettes mais on savait qu’on était vite. Un autre podium aurait été magique, surtout que cela en aurait fait deux d’affilée, mais c’est comme ça… »

Pour bien clarifier les choses, si, sur la grille, vous décidez de mettre la deuxième moto en slicks, il reste assez de mécaniciens dans le box pour le faire, ou sont-ils tous sur la grille ?

« Oui, on peut le faire. Il n’y a pas la totalité de l’équipe sur la grille et on peut communiquer avec les radios. »

Pour en terminer avec Brno, quand votre déception s’est-elle atténuée ?

« On a fait des essais intéressants le lundi et on a tourné la page. »

Les essais du lundi ont-ils aidé à tourner la page ?

« Oui ! Tout à fait, car on a pu y confirmer que l’on était vite ! »

D’où, j’imagine, un certain empressement à arriver en Autriche…

« Oui. Mais on arrive en Autriche en sachant que c’est un circuit très rapide où l’on avait vu l’année dernière une énorme domination Ducati et où les Yamaha avaient pas mal souffert. On sait aussi que le lundi à Brno, les Yamaha avaient testé beaucoup de choses, notamment la fameuse fourche, les bras oscillants et le nouveau carénage dont vous avez déjà parlé. On s’est donc dit que ça allait être compliqué, même si je savais que Johann y avait fait une course sublime l’année dernière en Moto2…

Et dès le début, Johann a été à l’aise, mais de manière assez surprenante, cela a été compliqué pour Jonas. Compliqué alors qu’il avait validé un châssis qui lui plaisait mieux en République tchèque. On l’a jamais vu bien et en plus, le vendredi, il avait une espèce de petite grève. Tant et si bien que, voyant son coéquipier mieux performer que lui, il décide d’abandonner son nouveau châssis le vendredi soir et de reprendre celui qu’il avait depuis le début de l’année. »

Quel était ce châssis essayé à Brno ?

« Un châssis que l’on avait essayé l’année dernière avec Espargaro et Smith. Mais Jonas n’était pas vraiment mieux le samedi, donc ce n’était pas une histoire de châssis. En Q1, il arrive à faire un tour à peu près correct, ce qui commence à lui mettre un petit peu le sourire. Au Warm up, il n’était pas mal mais il finit par nous faire une petite chute et je pense que de là ont découlé pas mal de problèmes. Quand il est tombé, il a endommagé le système de frein avant, et donc, dans ces cas là, tu mets tout en neuf. On a des systèmes spare pour cela. On a donc monté un système tout neuf, mais c’est toujours la problématique d’une chute Warm up, après tu pars en course avec quelque chose avec lequel tu n’as jamais roulé. On pense qu’il y a pu avoir un petit problème avec le maître cylindre et tout est parti en analyse chez Brembo. Mais de toute façon, après coup, on a moins que les boules car il avait fait un Jump Start. Il avait anticipé le départ. Ils n’ont pas eu le temps de la mettre à l’écran car il est rentré tout de suite, mais si cela n’avait pas été le cas, il aurait dû faire un Ride Through et la course aurait été mal engagée pour faire une position significative. Mais c’est vrai qu’après avoir vu Folger au Sachsenring et Folger à Brno, là, il n’aimait pas tellement le circuit et c’était plus compliqué.

Notre Johann national, par contre, a fait un boulot de folie. Dès les essais, il a été vite et il a fait beaucoup, beaucoup de tours. Je pense que c’est lui qui a fait le plus de tours dans l’ensemble du week-end, parce que quand il sort, il ne fait quasiment pas d’arrêt. Et ça, je pense que c’est une grosse force par rapport aux autres qui font des petits runs. Parfois, ça paye un peu moins sur le classement de la séance, mais par contre, on emmagasine énormément d’infos sur les pneus et sur l’évolution de la moto tour par tour, et c’est très très important pour la course. Johann a été serein tout le week-end. Il a vraiment très très bien travaillé.

Je me faisais un peu de souci car vu les commentaires de Vinales et de Rossi après les essais de Brno, je pensais qu’ils avaient fait un gros pas en avant et qu’on allait souffrir. Or, que ce soit durant les séances libres ou en qualification, on était dans le coup. Et en course, il a fait ce que vous avez vu. Il a été très très fort car physiquement c’est un circuit qui est très difficile. Quand tu as quand même Rossi et Vinales, que tu as doublés, et qui sont à tes basques, surtout Vinales qui est resté presque toute la course à 0,2, et ce sont quand même des prédateurs, et que tu es à fond absolu, la moindre petite erreur, et c’est facile d’en faire avec les freinages appuyés en bout de lignes droites, et bien tu te fais bouffer. Johann n’a pas baissé les bras, il a fait la course dans un rythme incroyable mais constant, il ne s’est jamais retourné, et à l’arrivée, il nous a dit qu’il aurait peut-être pu, en prenant un peu plus de risques quitte à faire quelques petites erreurs, essayer d’aller chercher Lorenzo. Mais il s’est dit qu’avec la moindre erreur, il se faisait bouffer par Vinales et peut-être Rossi. Donc il a préféré bétonner l’affaire et garder les deux Factory derrière que de tenter d’aller chercher Lorenzo. Il a vraiment fait une très très belle course parce que, certes je ne connais pas la réalité des problèmes des Factory et j’ai vu que Vinales voulait se concentrer sur ce qu’il avait au lieu de tester sans arrêt des choses différentes, mais ils ont quand même validé un paquet de choses, que ce soit en aéro, en suspensions, en moteur ils ne sont pas plus mal que nous. Je ne veux pas porter de jugement, mais je pense que notre avantage est peut-être de ne pas avoir à se poser de questions, et d’avoir un matériel qui est figé donc de se dire qu’il faut faire avec au lieu de faire des contre-essais de ci et de ça. Par exemple, le fait d’avoir fait autant de tours nous a permis de manière quasi certaine à 98% d’être sûrs de partir en soft à l’avant et à l’arrière. Ce n’était pas un coup de poker ! On a fait une fois et demie la course avec les avant et on a fait la course complète avec l’arrière. On ne partait pas dans l’inconnu et ce n’était pas un coup de poker pour flamber en début de course. Pas du tout !

À l’inverse, les pilotes officiels ont essayé des soft, des médium et des hard, avant de recommencer. C’est clair qu’à un moment donné, trop d’infos et trop de tests tuent les infos et les tests. Comme la température avait relativement beaucoup monté entre 13 heures et 14 heures sur la grille, beaucoup de pilotes ont hésité et se sont dit, coup classique, « il fait plus chaud, on met du hard ». Et encore une fois, certains nous ont regardés sur la grille en souriant, en se disant que Zarco allait encore faire un coup de bluff en début de course avant de le payer en deuxième partie de course. Et bien écoutez, il a fait le meilleur tour en course qui est aussi le record du tour, et surtout il finit cinquième après une superbe course. Au niveau physique et mental, c’était une course qui était très longue, et il l’a très bien gérée. Mais on n’est pas là pour bomber le torse et dire qu’on est plus fort que les Factory. Non, on n’est pas plus fort que les Factory mais peut-être que par rapport à tous leurs essais, notre travail est plus simple. « Trop embrasse mal étreint ». »

Nous sommes donc très heureux du Grand Prix d’Autriche tout en étant un peu déçus que Folger n’ait pas eu la même vélocité, et j’ai une confiance absolue dans le potentiel de mes deux pilotes. Et je suis sûr que l’on va encore faire des supers trucs, et avec, et avec l’autre. »

A suivre…

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