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De façon très régulière, et depuis maintenant plus de deux années, Hervé Poncharal nous fait l’honneur de nous partager son point de vue après un Grand Prix (Voir ici).

Écouter ses propos qui sont le fruit d’une expérience de 40 ans est toujours un plaisir, d’autant que l’homme n’a pas sa langue dans la poche. Nous vous partageons ainsi ses émotions, qui peuvent fluctuer au fil des épreuves de la déception à la plus grande des joies, sans pour autant occulter les petits grincements de dents passagers ou, au contraire, les envolées qui vont bien au-delà du sport…
Et nous l’en remercions grandement !


Hervé Poncharal, pourriez-vous nous partager votre ressenti quant à ce premier Grand Prix de Thaïlande, que ce soit au niveau circuit, organisation, public ou autre ?

« Franchement, on s’attendait à un truc sympa, on s’attendait à ce qu’il y ait beaucoup de monde, on s’attendait à ce que ce soit un peu festif à cause du public, et on a eu encore mieux que ça ! Il y a eu énormément de monde, mais même si tout le monde était heureux et donnait l’impression d’un joyeux bordel, l’organisation a été impeccable, un peu à l’image de la centaine de petits camions décorés à la façon locale qui servaient à transporter les personnes autour du circuit. J’ai discuté avec Dorna et ils m’ont dit que le premier jour, le jeudi, il y a eu 2 ou 3 petits trucs à corriger comme à chaque fois que l’on fait un nouveau Grand Prix. Ils l’ont dit aux Thaïlandais et le lendemain s’était terminé. Et tous les départements qui ont eu affaire avec l’organisation ont dit la même chose. Sous leurs aspects assez décontractés, ce sont des gens qui sont hyper organisés , qui écoutent ce que tu leur dis, ce qui n’est pas toujours le cas ailleurs. Franchement , on a eu un Grand Prix fabuleux : il y a eu du monde et vous avez vu les chiffres, je vous confirme qu’il y a eu une ambiance incroyable, et comme l’ont dit Dovizioso, Márquez et compagnie, il n’y a pas eu un pilote qui se soit fait siffler. C’est vrai, et vous l’avez noté. Il n’y avait aucun clan, c’était bon enfant. Le paddock était très grand et il y avait une bonne partie qui avait été dédiée à tout ce qui était un peu commerciale, donc on avait l’impression que c’était comme un salon de la moto, avec tous ses partenaires et ses accessoiristes à côté, le tout très bien organisé. Vous avez vu qu’il y avait plus de 100 000 personnes le dimanche, mais tous les jours, vous pouviez rentrer ou sortir du circuit en 10 ou 15 minutes maximum. On se faisait du souci et on partait le matin très tôt en se disant que ça allait être le bazar, mais ça ne l’a jamais été. On ne va pas les citer mais il y a des circuits en Europe où vous ne pouvez pas partir avant 20 heures, et encore. Là, 2 heures après la course MotoGP, tout le monde pouvait sortir en 1/4 d’heure. Donc franchement, on a eu une super météo, une belle ambiance est une super organisation, avec comme cerise sur le gâteau les 3 belles courses auxquelles on a assisté. On se demande même ce qu’ils peuvent améliorer pour l’année prochaine car, franchement, ils ne sont déjà pas loin du sans-faute. En plus, ce qui est sympa, c’est qu’ils sont hyper demandeurs : ils nous demandent ce qu’on aimerait qu’ils fassent de plus l’année prochaine, mais on ne sait pas vraiment quoi leur répondre.


Parfois, tu es un peu déçu, par exemple quand tu fais le Grand Prix du Japon qui est quand même le pays de Honda, Yamaha, Suzuki et Kawasaki : le lundi matin, tu regardes les journaux en prenant l’avion et il y a juste un entrefilet au sujet des courses. Là, sur le Bangkok Post, il y avait des premières pages en couleur de Márquez, Dovizioso, etc. Ensuite, on est allé sur une petite île paradisiaque très loin de Buriram où tu te dis que c’est coupé du monde, et tout le monde est au courant et connaît le nom de Marc Márquez. Il y a vraiment une ferveur très positive. Et puis, nonobstant, il y a quand même pas mal de motos, et pas que des cyclomoteurs. J’ai lu un article sur le Bangkok Post où ils disaient qu’ils en étaient déjà à plus de 100 000 motos de plus de 400 cm³ à la fin août. Bon, ce n’est pas énorme, mais ce n’est pas mal quand même ! Donc quand tu vas à Buriram, tu vois des BMW GS, des KTM Adventure, il y avait une grosse concession Ducati à la sortie du circuit, donc des grosses motos.
Encore une fois, tout le monde est parti pour ce Grand Prix en se disant que ça allait être génial mais également le bordel, donc sympa mais un peu compliqué à gérer. Ils ont géré comme des chefs ! Franchement. Pour une première épreuve où il y a quand même la barrière de la langue puisque, contrairement à la Malaisie, très peu de personnes parlent anglais, tout s’est fait dans des conditions optimum. Je pense que tout le monde est sous le charme.
J’ai discuté avec Carmelo (Ezpeleta) qui a vu le ministre du tourisme, et ce dernier l’a remercié au nom de la Thaïlande en lui disant que c’était super ce que le MotoGP avait fait pour la nation thaïlandaise. Et vice versa, il n’y a pas eu un seul retour négatif concernant les Thaïlandais, que ce soit sur le circuit ou même dans les hôtels qui accueillaient le public. Sur le circuit, il n’y a pas eu une seule coupure de courant, pas une seule séance partie avec 1 ou 2 minutes de retard, pas une seule fausse note ni un seul grain de sable ; tout était nickel, de jeudi matin à dimanche soir ».

Parlons un peu de la course, et en particulier de celles des Yamaha, qu’elles soient officielles ou sous les couleurs de Tech3. Malgré les très bons tests de Johann, on s’attendait globalement à un moment difficile à cause de l’allocation pneumatique, et, à l’inverse, on a assisté à une sorte de résurrection des M1. Y a-t-il une explication tangible ? Car nous n’en avons pas…

« Votre confrère Wiesinger (Speedweek) m’a posé exactement la même question il y a moins d’une heure. Comme je vous l’ai souvent dit, l’être humain aime la rationalité et expliquer. Là, franchement, vous n’avez pas d’explication mais, personnellement, je n’en ai pas beaucoup d’autres. Tout ce qu’on sait, c’est que ça s’était bien passé pour Johann lors des essais hivernaux, mais ce week-end la piste était beaucoup plus chaude, les pneus étaient différents et toutes les usines ont beaucoup bossé durant l’année. Donc on ne savait pas trop à quoi s’attendre, mais c’est vrai que dès les premiers tours de roue, ça a cliqué. Ça c’est tout de suite bien embrayé même si parfois la position ne semblait pas très bonne puisqu’on faisait de l’endurance avec les pneus de Johann et on essayait d’autres choses avec Hafizh. Sur les 4 Yamaha, tout le monde s’est senti bien, sur une moto compétitive. La preuve, Johann finit à 2,7 secondes du vainqueur et à une seconde de Rossi, alors que Syahrin, malgré un départ compliqué à cause de son cuir qui s’est ouvert au premier tour et qui lui a fait perdre pas mal de temps, a remonté et a passé Morbidelli sans coup férir, ce qui était loin d’être le cas à la dernière course à Aragon. Non, je n’ai pas d’explication particulière, si ce n’est que parfois il faut mesurer ses termes quand on parle de crise chez Yamaha. La moto n’est pas larguée ! Toute moto peut évoluer et peut-être que dans certains paramètres, elle est un peu en dessous de la Ducati qui est considérée comme l’étalon aujourd’hui, mais elle n’est pas au 45e dessous. Les gens qui disaient qu’il fallait refaire une nouvelle moto et un nouveau moteur, je pense qu’ils se rendent compte aujourd’hui que ce n’est pas réellement une nécessité. Ce qui est intéressant aussi, c’est que les troupes Yamaha avaient complètement le moral en berne à Aragon. Et là, d’une course à l’autre, dès les premiers tours de roue, tu vois un pilote qui fait un run le vendredi matin en FP1 puis rentre avec un bon feeling. Et quelque part, il sait déjà que son week-end va être, peut-être difficile car c’est toujours difficile, mais il sait qu’il va pouvoir se battre. Et ça change tout ! Ça change tout parce que l’état d’esprit est différent : Johann, il n’y a pas une fois où on l’a vu gueuler ou boudeur. Il était concentré, il ne faisait pas des galipettes tout seul dans le box mais il était positif et il y croyait. Syahrin aussi, alors qu’il était au 36e dessous après Aragon. Et là, il a vu qu’il pouvait se battre avec Morbidelli, alors qu’il n’y croyait plus.


Mais non, je n’ai pas d’explication. Simplement la M1, avec ces pneus-là, sur cette piste là, quelque soit la version car il y avait les 3 versions, la dernière la plus évoluée avec plein de choses nouvelles qui arrivent même si c’est des détails chez les usines, celle de Zarco qui est entre les 2 et celle ultra-base de Syahrin, les 4 M1 ont bien roulé. Mais je ne sais pas dire pourquoi. Et ce n’est pas une histoire de type de pilotage puisque, que ce soit Vinales, Rossi, Zarco et Syahrin, ce n’est pas tout à fait les mêmes types de pilotage. C’est la même base de moto mais ce ne sont pas les mêmes évolutions ni les mêmes réglages, ni les mêmes composants puisque en suspensions, en châssis, etc. c’est un peu différent. Et bien l’ADN de la M1 a bien fonctionné sur ce circuit ce week-end là. Cela dit, Rossi était le premier sur le cul et disait qu’il ne comprenait pas. Il est arrivé avec le moral dans les chaussettes et force est de reconnaître que ça marche : tout le week-end, il s’est battu aux avant-postes ».

En fait, vu les châssis différents et les moteurs figés, la seule possibilité d’une amélioration due à une cause technique précise aurait été une évolution électronique distribuée à tous les pilotes Yamaha…

« Il y a eu certainement des évolutions électroniques chez les Factory, mais en tout cas je peux vous garantir que ni Zarco, et encore moins Syahrin, ont eu quoi que ce soit depuis le Qatar. Donc évidemment, idem depuis Aragon. Non, je ne peux pas vous dire exactement ce qui se passe chez les bleus, mais chez les noirs les motos qui étaient hors du coup à Aragon se sont retrouvées très compétitives à Buriram. Parce que Johann me l’a dit ; s’il ne faisait pas sa boulette quand il a passé Vinales, que celui-ci l’a repassé, et que Johann a essayé de le repasser en faisant une goutte d’eau, ce qui lui a coûté beaucoup d’énergie et de temps pour remonter, il pouvait peut-être faire mieux. Donc on était dans le coup ! Peut-être même pour faire un podium, car de toute façon on est très très près du podium. Donc c’est un truc de fou : à Aragon, il finit derrière l’Aprilia d’Aleix Espargaro, derrière la KTM de Bradley Smith, derrière Morbidelli et Nakagami… c’est dur ! Alors qu’en Thaïlande, il roulait vite, très très très vite ! ».

Donc, sans explication, vous vous rendez à Motegi en vous demandant si ce regain de performance va se rééditer ou pas ?

« On en a déjà parlé ; il y a un parallèle entre 2017 et 2018 concernant les performances et les contre-performances pour Johann. Donc l’année dernière, le retour aux belles performances s’est fait au Japon avec la pole position, puis une course magnifique à Phillip Island, une première ligne sur le sec à Sepang et un podium sur le mouillé, et Valencia où il mène presque toute la course avant de finir 2e. Donc c’est évident que quand on a fait la course qu’on a faite à Buriram, on part pour le Japon, l’Australie et la Malaisie, en tout cas avec un meilleur moral que celui que l’on avait en prenant l’avion pour la Thaïlande après Aragon. Mais encore une fois, et c’est ça qui est beau en MotoGP même si c’est parfois difficile à vivre, tu ne peux jamais savoir ! Ce n’est pas parce que l’année dernière ça ne s’était pas mal passé à Motegi qu’on ne va pas galérer. Donc gardons-nous de faire des pronostics, et jouissons du moment présent d’avoir fait une belle course, de finir premier indépendant et d’être passé tout près du podium ».

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