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Au fil des interviews exclusives que Hervé Poncharal nous accorde à chaque Grand Prix, le factuel se teinte souvent d’émotion, au gré des résultats. 

Et des émotions, ses pilotes lui en procurent toujours, journées après journées, parfois radieuses, parfois plus sombres.

Malgré son expérience, Hervé Poncharal vit toujours la course avec la plus grande des passions, et c’est toujours un grand plaisir quand il nous en éclaire quelques facettes, comme c’est encore le cas aujourd’hui…
Merci à lui !


Hervé Poncharal, après ce spectaculaire Grand Prix d’Australie, quel sentiment prédomine en vous : la satisfaction que Johann Zarco en ait été le principal animateur, où la frustration de voir le podium lui échapper ?

Hervé Poncharal : « Sincèrement, en tant que passionné totalement impliqué derrière Johann, la déception quand même, car même si Johann a fait un week-end fabuleux et une course à la fois merveilleuse et magistrale, se faire passer comme ça après le dernier virage, c’est toujours un petit peu dur ! Lui, il le voulait vraiment ce podium, et je pense que vu sa course, il le méritait. Maverick Vinales le méritait aussi, bien sûr. Mais Johann voulait passer Valentino, car il était plutôt mieux que lui. Donc quand il est sorti derrière Vale, il y avait deux solutions : ou il restait sur la même trajectoire que Vale, bien à l’extérieur pour ne pas trop se freiner et bien prendre l’aspiration de Valentino et finir trois. Mais lui, il voulait être 2e, donc il a plongé à l’intérieur de Valentino, et en arrondissant moins son virage, il s’est freiné un peu et s’est retrouvé presque côte à côte avec Valentino. Mais Maverick, qui était collé derrière, a bénéficié d’une double aspiration sur une trajectoire plus arrondie. Et la ligne droite, on s’en souvient encore avec le titre d’Olivier Jacque en 2000, elle est très très très longue, en légère descente, et la ligne d’arrivée est quasiment à l’entrée du virage 1… Donc il nous a dit, « j’ai plongé pour faire 2, et du coup je me suis retrouvé 4 ». Voilà.

A part ça, bien sûr que je suis extrêmement content car il fait quand même une démonstration incroyable. Il fait la pole au Japon et s’est battu avec ce qu’il avait pour être la première Yamaha, et on pouvait difficilement faire mieux que ce qu’il a fait là-bas. Et ici, il nous refait une première ligne en ayant roulé très vite aussi sur le mouillé pendant les essais. Et en course, il a le meilleur tour avec 3 dixièmes de mieux ! Honnêtement, il a fait un week-end de folie, sans erreur, et agressif comme il faut sans l’être trop. Il n’y a pas un pilote qui s’est plaint de lui car tout le monde s’est tapé dedans, et il n’y a pas eu un Lorenzo Réplica comme ça été le cas au Japon. Les pilotes étaient plutôt enjoués à l’arrivée… »

Pour bien comprendre, car peut-être que, pour le grand public, faire une course au niveau où il l’a faite peut paraître au moins aussi important que de perdre une place dans le dernier virage ; deuxième ou quatrième, ça change quoi ?

« La joie du pilote et de l’équipe d’avoir son pilote sur le podium. Maintenant, c’est vrai que tout le monde est venu nous féliciter et nous dire que Johann avait été l’homme du week-end, que ce soit dans le paddock après la course, ou même à l’aéroport en partance pour la Malaisie. Tout le monde s’est montré extrêmement admiratif, et c’est indiscutable que Johann a marqué les esprits. Plus qu’au Qatar et au Mans, encore ! »

Presque deux décennies après, n’êtes-vous pas en train de revivre une aventure un peu similaire à celle que vous avez connue avec Olivier Jacque, qui avait abouti au titre mondial ?

« De toute façon, c’est différent, parce que j’ai 20 ans de plus, donc vous n’avez pas la même perception de tout un tas de choses, à 60 ans qu’à 40 ans. C’est la catégorie reine : avant, même si on se battait devant, on avait toujours l’impression d’être les petits jeunes qui s’amusaient sous le regard des gros bras. Là, on est dedans ! Et puis, les profils d’Olivier et de Johann sont très différents, tout comme le rapport qu’ils ont à l’équipe et à leur sport. Leur manière de se comporter et de délivrer la performance est quasiment aux antipodes l’une de l’autre. Mais oui, évidemment qu’on se rappelle cette période parce que, sans faire offense aux autres, c’est le dernier pilote français de ce niveau-là qu’on ait eu. D’ailleurs, ce qui est super, c’est que Olivier est à 300 % derrière Johann : à chaque séance d’essais et à chaque course, il m’envoie des supers messages gentils de félicitations, de clins d’œil, de conseils. Il n’est pas le seul, Raymond Roche le fait aussi, mais Olivier connaît bien Phillip Island pour y avoir fait subir à son coéquipier pour remporter le titre en 2000 ce que Johann a subi ce week-end. Donc oui, au niveau de l’équipe, je ressens bien une certaine adrénaline, tension positive, pression et lumière dans les yeux, comme ils avaient déjà à cette époque, et que ça faisait longtemps qu’ils n’avaient pas eu. »

Avez-vous des nouvelles de la santé de Jonas Folger, et avez-vous lu l’article annonçant une possible arrivée de Franco Morbidelli chez vous, au cas où Jonas Folger ne pourrait pas reprendre le guidon l’an prochain ?

« J’ai un contrat en béton avec Folger. Morbidelli a un contrat en béton avec Marc VDS. On ne casse pas les contrats comme ça ! Et de toute façon, on a toujours, et moi le premier, dit qu’on n’allait pas se faire la guerre entre équipes ! On se bagarre sur la piste, on essaie chacun d’avoir les meilleurs pilotes, mais une fois que les contrats sont signés, il faut les respecter ! Sans ça, c’est la jungle !
Donc je ne vais pas commenter cet article et la seule chose que je peux dire, c’est que Jonas devrait avoir les résultats de ces examens aujourd’hui, mardi. Il les a faits mardi dernier et les docteurs ici m’ont confirmé que pour avoir les résultats de tout ce qu’il avait demandé, c’est long. Donc, si on a les résultats, les médecins du championnat, ainsi que d’autres confrères, vont pouvoir dire vraiment ce qu’il a. Parce que aujourd’hui on parle d’Epstein-Bar, de virus, de mononucléose, mais on n’en sait rien ! Personne n’est capable de dire exactement ce qui provoque cet état de lassitude et de très très grande fatigue. J’espère que ces examens vont nous éclairer et que, à partir du moment on saura, on pourra avoir un diagnostic clair. Parce qu’aujourd’hui, on entend dire « c’est comme Cavendish, il faut qu’il reste couché », mais on n’en sait rien. On dit tout et n’importe quoi. Moi je reste relativement calme et discret, même si je me fais du souci pour lui et pour l’équipe. Parce que si réellement il ne peut pas piloter l’année prochaine, je suis dans une situation très compliquée. Car évidemment, c’est un pilote de très haut niveau, et d’ailleurs toute son équipe technique a été vraiment déçue de son absence en Australie et en Malaisie car il y avait fait des essais fabuleux ! On aurait peut-être pu faire des trucs à la Sachsenring avec lui, et donc on passe à côté de plein de choses fortes, pour lui et pour l’équipe dans sa globalité. Mais pour l’instant, il est hors de question de penser à autre chose que de faire le maximum pour que Jonas Folger revienne le plus vite possible. C’était notre choix, c’est notre pilote, et on a 200 % confiance dans ses capacités à rouler. Et on espère vraiment qu’il va pouvoir revenir ! »

Est-il possible qu’il soit là à Valence et, si non, avez-vous déjà pensé à un remplaçant ?

« Je le souhaite de tout cœur mais cela me semble assez improbable. Mais je n’ai pas encore commencé à réfléchir à un éventuel remplacement car j’ai vraiment envie que ce soit lui. Les remplaçants sont loin de démériter, mais je pense que peu de gens se rendent compte du niveau du MotoGP, dans les trois classes. C’est de la folie ! Donc on a besoin de Jonas, sinon on va encore marcher avec une jambe plus forte que l’autre. »

L’idée de mettre Johann Zarco sur une moto d’usine chez Tech3, validée par Valentino Rossi et Maverick Vinales, a-t-elle la moindre chance de se réaliser ?

« Alors déjà, une moto d’usine, on en a une ! Il faut être précis avec les mots ; nous avons une Factory bike. Alors après, la question est de savoir si on pourrait avoir les mêmes spécifications qu’a le team d’usine. Personnellement, de ce que je connais de Yamaha, avec une expérience de 20 années consécutives, et au vu des nombreuses fois où cela a déjà été discuté à propos d’Andrea Dovizioso, de Cal Crutchlow ou de Ben Spies, à l’époque où ils étaient chez nous, cela a toujours été impossible. « No, no, no ! »
Maintenant, ils peuvent toujours changer d’avis. C’est sûr que Valentino Rossi et Maverick Vinales ont du poids chez Yamaha, c’est sûr aussi que ce que fait Johann cette année, ça ne passe pas inaperçu, et c’est sûr aussi qu’on leur dit et redit, de manière soft pour ne pas les braquer, que chez Honda c’est exactement ce qui se passe avec Crutchlow et que chez Ducati c’est ce qui se passe avec Petrucci.

Il sera intéressant de voir ce qu’on aura comme moto au test de Valence ; si c’est les 17 ou les 18 qui roulent aujourd’hui. Ce serait déjà bien qu’on puisse faire les essais à Valence avec les motos qui ont roulé depuis Silverstone avec Rossi et Vinales, c’est-à-dire les proto 18 qui n’étaient pas prévus pour rouler si tôt. Mais nous n’en avons aucune confirmation. De toute façon, traditionnellement, les Japonais sont excessivement secrets et, grosso modo, il faut attendre le jour J pour voir ce que l’on a. Et leur faire confiance ! Car on fait tout pour leur faire comprendre que ce serait bien pour nous, mais aussi pour eux. On les remercie déjà pour le matériel que l’on a, car c’est déjà un matériel qui peut permettre de gagner. On joue donc le jeu, on fait au maximum tout ce qu’on nous demande et Johann travaille sans arrêt pour faire des tours dans toutes les conditions pour leur passer des infos.

Donc oui, on aimerait vraiment bien ! Et j’aimerais pouvoir vous dire que j’ai un bon feeling par rapport à ça, mais ce n’est absolument pas le cas pour le moment. On a beau parler et essayer d’amener le sujet de manière diplomatique, il n’y a rien qui bouge pour l’instant. Mais nous sommes corporate et nous verrons bien s’ils changent d’avis ou pas: il vaut mieux avoir une bonne surprise que d’être déçu !

En tout cas, en tenant compte de ce qu’on fait, et surtout de ce que Johann fait, on ne peut pas faire mieux et plus pour les convaincre éventuellement à ce qu’ils nous aident de manière encore plus forte en faisant ce que font Honda et Ducati. Et je pense que ce sera de plus en plus la tendance, car vous avez vu l’interview du grand patron de KTM qui disait que si jamais ils avaient une équipe satellite, ce serait avec le même matériel que le team d’usine. Et on entend dire aussi que Suzuki ferait peut-être ça aussi. Donc plus on avance, plus le fait d’avoir mono pneus, mono ECU, beaucoup de choses gelées, comme les moteurs et l’aérodynamique, plus il est intéressant pour les usines d’avoir davantage de remontées, pour mieux développer leurs machines et aider tous leurs pilotes. Donc la tendance devrait aller à ce que, de plus en plus, les équipes satellites aient un matériel identique. Et même au niveau logistique et gestion des pièces. »

Comment le team Monster Yamaha Tech3 aborde-t-il Sepang ?

« Écoutez, Johann avait jamais vraiment réussi à Phillip Island jusqu’en 2016, et il est parti là-bas en se demandant ce que ça allait donner, avec des interrogations. Et quand vous voyez la course et le week-end qu’il a fait, la perception et la gestion de sa course sur ce circuit là avec une MotoGP sont radicalement différentes de son ressenti en Moto2. Par contre, il adore Sepang ! Il y a eu son titre l’année dernière, il adore rouler là-bas, il adore les conditions de chaleur, etc. Bien sûr, chaque piste est nouvelle pour lui : il les connaît sur une Moto2, mais une Moto2 fait 120 chevaux, possède des freins en acier, des pneus Dunlop, une électronique basique, etc. Mais je pars du principe que Johann adorant cette piste, et y ayant toujours bien marché, et vu la forme qu’il a à l’heure actuelle, on s’attend à ce que ce soit un week-end fort. Aussi fort que l’Australie, je n’ose même pas en rêver parce que les Ducati vont certainement être moins en délicatesse qu’en Australie. À Sepang, on sait qu’elles vont vite et il y a deux énormes bouts droits qui vont leur plaire. Donc on va voir, mais lui, il est remonté comme une pendule, il est super heureux et il veut continuer ce momentum. Et pour lui, ça peut le faire à Sepang, puisque c’est une piste qu’il adore. Il y est d’ailleurs parti tout de suite, dimanche soir après la course, pour y arriver plus vite et s’acclimater. Il est donc en Malaisie depuis lundi matin, et il veut continuer sa chasse au podium et à la bagarre dans le groupe de tête. Ça c’est clair ! Et il peut le faire ! »

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