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Après 15 saisons complètes en GP (dont 8 en Moto2), le moment était venu pour le Suisse trentenaire et vice-Champion du Monde Tom Lüthi de gravir l’ultime marche qui mène au Nirvana des pilotes de Grand Prix : la catégorie MotoGP.

Champion du Monde 125 cm3 en 2005, Tom a remporté 16 victoires en 255 Grands Prix, avec 57 podiums. Le week-end dernier, au Mugello, il s’est qualifié sur la septième ligne juste devant Dani Pedrosa et Aleix Espargaro, mais en 1’47.989 contre par exemple 1’46.208 pour la pole position de Valentino Rossi. Lüthi avait obtenu de bons résultats en Toscane dans le passé (2e du GP d’Italie 125cm3 en 2005, 3e 250 en 2008, 3e Moto2 en 2012 et 2e en 2017), mais dimanche dernier une chute en début de course a mis fin à ses espoirs.

Alors que l’avenir de son coéquipier Franco Morbidelli (23 ans) semble favorable (il totalise 17 points), celui de Lüthi (0 point) semble moins radieux, y compris pour le prochain GP de Barcelone, car des dissensions internes au sein de son équipe ont incité le Team Marc VDS à renoncer aux essais prévus mi-mai sur la piste de Montmeló. Ça n’aurait pas été superflu pour le pilote suisse, qui a estimé : « Les tests à Barcelone auraient été une bonne chose pour moi. »

Faisons le point avec son chef d’équipe Gilles Bigot à l’issue du premier tiers de la saison. Gilles avait mené Tom à la 2e place du mondial Moto2 l’an dernier, après avoir auparavant emmené Alex Criville au titre mondial 500 cm3 sur une Honda HRC Repsol en 1999.

Gilles, le sixième Grand Prix vient de se terminer (sur un total de 19). Vu de l’extérieur, la situation de Tom semble difficile, qu’en est-il de l’intérieur ?

« Le mot est juste, des imprévus ont rendu ce challenge encore plus difficile à gérer pour Tom. Afin qu’il puisse donner le meilleur de lui-même, il doit être dans une ambiance sereine et détendue. Sa blessure à Sepang fin 2017 lui a fait manquer les essais hivernaux, et il en est découlé une préparation hâtive sans connaitre sur quoi il devrait travailler. Et depuis le GP de Jerez les dissensions internes l’affectent beaucoup car Tom est un peu trop « sensible ».

Le début de saison est-il plus compliqué que prévu, ou au contraire correspond-il à une progression normale pour une découverte de la MotoGP ?

« Le début a été difficile mais malgré tout nous avons constaté une progression jusqu’à Jerez. Lorsque vous arrivez en MotoGP après de nombreuses années en classe intermédiaire avec un certain palmarès, c’est un choc. Tom a dû mettre au placard ce qu’il pensait connaitre en moto, la MotoGP c’est un autre monde et vous découvrez des sensations jamais ressenties auparavant (avec la Honda RCV) donc ces nouvelles réactions, wheeling, guidonnage violent  à haute vitesse, louvoiements, pas de pression de frein après un guidonnage… les pneumatiques aussi, surtout l’avant. En moto2 le pneumatique avant a une fenêtre de fonctionnement exceptionnelle, que cela soit en température de piste comme en longévité, donc ce sont des choses qu’il faut assimiler, accepter et essayer de gérer. »

Pourquoi une telle différence avec son coéquipier actuel Franco Morbidelli* ?

« La différence avec Franco est certainement due à une pratique du pilotage de la moto, Franco au quotidien s’entraine avec Valentino Rossi et tous les autre pilotes du VR46 et d’après ses dires Valentino n’est pas avare en conseils. Tom est un solitaire et s’entraine un peu comme Cal Crutchlow, donc peut être que cela le limite un peu lors de la première séance d’essais, le temps de retrouver ses automatismes.

« Franco a assimilé que pour aller vite en MotoGP il faut savoir se maitriser et anticiper toutes les entrées de virages afin de mieux exploiter la puissance en sortie. Comme il pilote plus sur l’avant, il a également un meilleur ressenti avec le pneumatique. Pour Tom c’est plus difficile car il pilote un peu plus à l’instinct et il charge un peu moins l’avant, il a toujours la sensation qu’il est trop lent en entrée de virages alors il freine moins fort et se trouve un peu hors trajectoire au moment d’accélérer et souffre d’un manque de grip alors il lui faut plus de temps pour prendre confiance. Or il faut beaucoup de confiance en MotoGP car il faut prendre beaucoup d’angle pour tourner. 3 degrés d’angle apporte un gros gain. Quand Tom peut anticiper,  l’amélioration est immédiate mais pour cela il faut qu’il soit serein et détendu. »

Quelles sont pour toi et Tom les conséquences au quotidien des incertitudes liées à la Direction de votre équipe « Estrella Galicia 0,0 Marc MDS » ?

« Les conséquences sont multiples, nous n’avons pas de team manager et de team coordinateur, donc nous devons nous occuper de taches supplémentaires. Pour le moment je représente le team a diverses réunions de MotoGP, il y a de l’inquiétude pour la continuité du team, beaucoup de questions sont sans réponses, je pense que celui qui est le plus touché c’est Tom car il n’a qu’un contrat d’un an. En début d’année cela se passait très bien, Tom se sentait très bien dans l’équipe, Michael Bartholémy était très actif et attentif, et en l’espace d’une journée tout s’est effondré. » (Ndlr : Depuis la réalisation de cette interview il y a quelques jours, les choses se sont heureusement arrangées).

La Honda RC213V modèle 2018 de Marc Marquez, Dani Pedrosa et Cal Crutchlow semble bien fonctionner, contrairement à la première demi-saison de l’année dernière. Quel modèle utilisez-vous ?

« Nous utilisons la moto de Jack Miller de 2017. De temps en temps Jack vient nous rendre visite. Maintenant qu’il pilote une Ducati, il lui est évident que la Honda n’est pas une moto facile à piloter. »

Tom envisage-t-il de revenir en Moto2 l’an prochain ? Et toi ? Avez-vous pris des contacts ?

« Je pense que le manager de Tom envisage déjà un plan B, moi j’attends la suite des évènements. »

Si l’on vous avait dit l’an dernier que l’arrivée en MotoGP serait aussi problématique, Tom et toi seriez-vous restés en Moto2 ?

« Je n’ai pas de regrets et je pense que pour Tom il en est de même car l’expérience mérite d’être vécue. Pour moi, Tom peut faire beaucoup mieux c’est certain mais pour le moment on ne peut pas dire que la chance ait été de son côté et c’est dommage, attendons la suite. »

Il reste encore 13 Grands Prix, donc beaucoup de progrès possible. Quels sont vos objectifs pour la suite de la saison ?

« Un premier objectif est que les dissensions internes trouvent une issue qui puissent permettre aux deux pilotes MotoGP et à tous les membres de l’équipe de travailler sereinement et d’être plus compétitifs ».

Bonne nouvelle, la paix interne est revenue !

 

*Meilleures qualifications de Tom Lüthi : 18e au Qatar (à 1.701 de la pole) et à Jerez (à 1.099), meilleur résultat en course : 16e au Qatar (à 24.189 du vainqueur) et au Mans (à 45.260 du vainqueur)

Meilleur qualification de Franco Morbidelli : 12e au Mugello (à 0.794 de la pole), meilleur résultat en course : 9e à Jerez (à 16.822 du vainqueur).

Photo ci-dessus : Tom Lüthi imitant Marc Marquez (avec une issue moins favorable) au Mugello. Copyright Dorna TV / Vidéopass

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